Pays du Golfe: la ruée vers l’art

Pays du Golfe toute! Après avoir longtemps hésité à s’aventurer au Moyen-Orient, les grandes foires d’art enquillent les annonces de leurs arrivées dans la région. Dernière en date, Frieze confirme reprendre le salon Abu Dhabi Art l’année prochaine. C’est encore le mystère en ce qui concerne le contenu de cette nouvelle formule. Seule certitude: la dernière édition sous son nom se déroulera du 19 au 23 novembre 2025. Des dates que conserveront Frieze en 2026 tout comme le lieu de la manifestation, le centre Manarat Al Saadiyat au cœur du quartier culturel de la capitale des Émirats, ainsi que l’actuelle directrice de la foire: Dyala Nusseibeh.

En attendant, tout se joue en février de l’année prochaine à Doha. Avec 87 exposants, Art Basel Qatar jouera les petits formats, comparé aux 289 galeries qui investissent chaque année la grand-messe bâloise. Surtout, la foire sous la direction artistique de l’artiste égyptien Wael Shawky proposera des expositions curatées.

Entendez par là que la logique du stand – boutique présentant les œuvres de dizaines d’artistes sera abolie. À la place, chaque galeriste présentera un accrochage monographique sous le thème Becoming dans les espaces du M7, le centre d’exposition de la capitale du Qatar, dans ceux du Doha Design District et dans le quartier de Msheireb Downtown Doha. À voir si ce galop d’essai se transformera en course de fond.

Chez les marchands, ces ouvertures suscitent forcément l’enthousiasme alors que le climat économique mondial va entrer dans un hiver qui promet d’être long. La Chine peine à renouer avec sa situation d’avant Covid, la Russie est sous sanction, mobilisée par la guerre; l’attitude erratique des États-Unis inquiète et l’Europe en crise se débat pour trouver de nouveaux débouchés commerciaux. Autant dire que c’est le paradis du côté du Golfe où le soleil semble permanent et les capitaux illimités, les Émirats et le Qatar investissant sans compter dans la culture pour redorer leurs blasons de pays tolérants.

Le Qatar a ainsi lancé le programme 2030 National Vision qui vise à diversifier l’économie du pays et à renforcer son rôle dans les industries créatives et culturelles à forte valeur ajoutée. C’est dans ce cadre que le gouvernement vient d’annoncer la construction dans sa capitale du plus grand hub de stockage et de logistique consacré aux beaux-arts et au design dans la région. Un port franc ambitieux et hautement sécurisé, qui comprendra, outre des espaces de conservation et de stockage, un atelier de restauration, des zones de private viewing ou communes, ainsi que des entrepôts sous douane pour la manipulation et le transit d’œuvres d’art. Le projet est mené conjointement par GWC (Q.P.S.C.), principal acteur qatari de la logistique et de la chaîne d’approvisionnement, et QC+, groupe opérant dans les secteurs de la culture, de l’hôtellerie et du tourisme lequel est aussi le partenaire d’Art Basel Qatar avec Qatar Sports Investments (QSI) actif dans le sport, la culture, le divertissement et le lifestyle.

Reste la question cruciale de savoir si Frieze Abu Dhabi et Art Basel Qatar, deux foires organisées à trois mois d’intervalle – en novembre pour la première, en février pour la seconde – peuvent être viables, aussi bien pour les exposants que pour les collectionneurs. D’autant qu’Art Dubai, lancé en 2007, se déroulera du 17 au 19 avril 2026 et que les trois villes où elles s’organisent tiennent dans un mouchoir de poche. Sans surprise, le casting complet des poids lourds capables d’encaisser la multiplication des participations internationales seront du voyage d’Art Basel Qatar: Gagosian, Hauser & Wirth, Pace Gallery, David Zwirner et White Cube. Mais aussi Karma International, Almine Reich, Lisson Gallery ou encore Continua accompagnés de galeries bien ancrées dans la région: Green Art Gallery, Pilot Galeri, Gallery Misr, Loft Art Gallery, Athr Gallery et la Munichoise Tanit qui possède une antenne à Beyrouth.

Dans un marché de l’art déjà saturé par les foires internationales, il y aura forcément des arbitrages, surtout du côté des galeries dont le puits n’est pas sans fond aussi bien en ce qui concerne les œuvres que les finances. «L’activité croissante dans le Golfe reflète à la fois le dynamisme du paysage culturel de la région et le potentiel de son marché. J’y vois un moment d’expansion, pas de saturation, estime Noah Horowitz, CEO d’Art Basel au magazine The Artnewspaper. Notre premier critère a été le calendrier: nous voulions un moment susceptible d’attirer un public international, et une foire début février, avant Art Basel Hong Kong organisée au mois de mai, est idéale.»

Pour Simon Fox, CEO de Frieze, Abu Dhabi représente le marché le plus intéressant de la région, en raison du poids des grands projets institutionnels récemment inaugurés ou en cours sur l’île de Saadiyat, notamment celle, prochaine, de l’antenne du Guggenheim maintes fois reportée. Même s’il reconnaît que dans le pays le mécénat d’entreprise est assez limité et le nombre de grandes collections privées encore restreint, sa confiance reste intacte. «Nous n’avons pas besoin de plus de pouvoir d’achat que celui déjà en place, estime-t-il. Il a suffi à soutenir la croissance d’Abu Dhabi Art au cours des dix-sept dernières années. Nous nous inscrivons dans une vision à long terme.»

Frieze, qui se déploie déjà à Londres, New York, Los Angeles et Séoul, peut en effet s’appuyer sur une foire qui a presque vingt ans d’existence. Ce qui n’est pas le cas d’Art Basel Qatar qui, à Doha, démarre sur une page blanche, mais peut compter sur la solide constellation de ses manifestations à travers le monde. «Lorsque nous nous sommes installés à Miami Beach, à Hong Kong et à Paris, nous arrivions dans des dynamiques de marché déjà matures, poursuit Noah Horowitz. À Doha, nous répondons à une vision et à un pays qui a fait de l’investissement culturel à long terme une partie intégrante de son identité nationale. Nous ne dupliquons pas nos foires: avec Art Basel Qatar, nous cocréons quelque chose de nouveau avec nos partenaires qui reflètent l’écosystème local tout en le reliant au réseau international d’Art Basel. Le Qatar illustre parfaitement la conception de notre rôle dans le monde: non pas comme exportateur d’un modèle, mais comme collaborateur dans la définition de ce qu’une foire d’art peut signifier dans un nouveau contexte culturel.» Pour les deux organisateurs, les pays du Golfe c’est donc un pari. Mais à ce jeu, il n’y aura peut-être qu’un seul gagnant.