Ouverture du Dib Bangkok Museum: un tremplin pour l’art contemporain en Asie du Sud‑Est

Fondé par Purat Chang Osathanugrah pour honorer la collection de son père - l’industriel et grand amateur d’art Petch Osathanugrah – ce musée représente un symbole fort: une institution capable de rivaliser avec les grands centres d’art mondiaux tout en ancrant l’art contemporain dans le cœur de la capitale thaïlandaise. 

Installé dans un entrepôt industriel des années 80 dans le district de Rama IV Khlong Toei, le bâtiment a été transformé par l’agence WHY Architecture (dirigée par Kulapat Yantrasast, l’excentrique architecte-star ancien élève de Tadao Ando) en un espace minimaliste, mais puissant. Sur trois niveaux, le musée proposera près de 7000 m² d’espace d’expositions répartis sur onze galeries, un jardin de sculptures, une cour centrale de quelque 1400 m², ainsi qu’un café-restaurant et une terrasse; le tout occupera un ensemble de 16 000 m². L’un des éléments architecturaux les plus frappants est sans doute l’espace dénommé La Chapelle qui compte un volume en forme de cône tronqué, baigné d’un puits de lumière doté d’une acoustique singulière et conçu pour générer une expérience zen contemplative. 

Le nom Dib (qui signifie brut en thaï) témoigne de l’orientation du musée: donner à voir des œuvres «à l’état naturel», sans artifices, et provoquer une rencontre sincère entre l’art et le visiteur. À l’occasion de son exposition inaugurale Invisible Presence, le musée présentera une sélection d’environ 40 artistes issus de la collection de Petch Osathanugrah. Parmi eux figurent des noms majeurs de l’art contemporain thaï, comme Montien Boonma et Rirkrit Tiravanija, mais aussi des noms internationaux tels qu’Alicja Kwade, Apichatpong Weerasethakul, Alex Katz, Rebecca Horn, Hugh Hayden, Takashi Murakami ou encore Damien Hirst.

Cette ouverture, le 21 décembre, représente un tournant pour la Thaïlande. Jusqu’à présent, malgré des espaces comme le Bangkok Art and Culture Centre (BACC) ou le Museum of Contemporary Art (MOCA), aucune institution n’offrait une collection permanente d’envergure internationale. Le Dib Bangkok Museum établit donc un point d’ancrage institutionnel pour la scène locale et régionale, un lieu de rayonnement pour les artistes thaïs et un signal fort pour les collectionneurs du monde entier.

Le marché de l’art contemporain en Asie du Sud‑Est a gagné en maturité et en visibilité ces dernières années, porté par une dynamique économique croissante, une base de collectionneurs en expansion et une augmentation d’institutions culturelles et de foires régionales. Selon les données affichées dans les études d’Artprice sur ce secteur, le marché de l’art contemporain en Asie en 2024 a continué d’évoluer. Les acheteurs d’art contemporain sont en croissance, notamment sur les segments d’achats compris entre 50 000 et 1 million de dollars; c’est la fourchette où se concentre une grande partie des transactions. 

Les foires jouent un rôle clé dans cette évolution: à titre d’exemple, on peut citer la foire S.E.A. Focus à Singapour, qui se tient chaque année et qui représente une importante vitrine pour les galeries et les artistes de toute l’Asie du Sud-Est. La région compte d’autres événements importants, à l’instar de la foire annuelle Art Jakarta en Indonésie ou de l’Affordable Art Fair à Singapour, dont la prochaine édition se déroulera en mars 2026.

Ces rendez-vous contribuent à renforcer l’écosystème, à créer des ponts entre collectionneurs, galeries et institutions, et à valoriser une scène locale souvent trop sous-représentée dans les grandes maisons de vente internationales.

Dans toute la région en effet, de plus en plus de talents émergent et apportent une contribution significative à la richesse et aux multiples facettes de l’art contemporain. Parmi les artistes les plus reconnus on peut citer le Malaisien Yee I‑Lann, dont le travail en photographie, collage ou tissage explore les questions de pouvoir postcolonial, mémoire et identité, ou l’artiste vietnamienne Lê Hien Minh, qui travaille le papier traditionnel dó pour créer des installations sculpturales poétiques, portant sur le trauma, le sacré, le social.

Au Vietnam, la peintre Lim Khim Katy est connue pour ses paysages imaginaires, très prisés par les collectionneurs de la région. Autre artiste très convoité par les acheteurs de Sotheby’s (entre autres), le peintre singapourien Ong Kim Seng, réputé pour ses aquarelles naturalistes. Parmi les artistes régionaux exposés prochainement au Dib de Bangkok, dont les œuvres proviennent de la collection de l’industriel mécène Osathanugrah, on retrouve Montien Boonma, génial sculpteur thaïlandais – un des plus importants de sa génération - disparu prématurément en 2000, mais aussi Rirkrit Tiravanija, dont l’œuvre et les installations se situent à la frontière entre art contemporain et monde numérique, ou encore la jeune artiste performeuse Kawita Vatanajyankur, dont l’art très engagé met en lumière les paradoxes et les absurdités de notre société. 

Les collectionneurs en Asie du Sud‑Est se diversifient: on voit en effet émerger une génération de jeunes collectionneurs à forte capacité d’investissement. Selon Artmarket, ces acheteurs entrent sur le marché via les plateformes en ligne ou les foires, avec des budgets moyens compris dans la fourchette mentionnée précédemment, entre 50 000 et 1 million de dollars. Certains collectionneurs influents se distinguent parmi eux: on retrouve souvent, par exemple, le couple philippin Alfredo & Isabel Aquilizan, deux artistes eux-mêmes très engagés qui soutiennent plusieurs talents émergents de la région et collaborent avec de nombreuses institutions.  

À Singapour, différents mécènes d’art investissent à la fois dans l’art local et international, utilisant des structures comme le National Arts Council pour développer leurs collections.  

Il est difficile d’avoir des chiffres précis sur la part spécifique du S.E.A. Contemporary Artdans le marché global de l’art, mais certaines tendances sont claires: le nombre de lots d’art contemporain d’Asie du Sud‑Est aux enchères internationales a fortement augmenté ces dernières années et selon les rapports d’Artprice, le marché contemporain asiatique continue de croître dans la diversité. Non seulement des peintures et des sculptures, mais aussi des œuvres numériques, des éditions et des installations.  

Selon MyArtBroker, en 2025, les acheteurs en Asie privilégient désormais la qualité artistique, la provenance et la carrière de l’artiste, plus que la spéculation pure.  

L’arrivée du Dib Bangkok Museum, en ce moment de grand dynamisme, peut apporter des changements importants dans le marché asiatique, pour plusieurs raisons: le musée peut élever le profil des artistes locaux, booster leur visibilité et les placer dans un contexte global, ce qui peut faire monter leur cote sur le marché. La collection semi-permanente de plus de 1000 œuvres permet des expositions renouvelées et des prêts, renforçant la réputation internationale du musée, mais parallèlement aussi la valeur des œuvres qu’il accueille. Cependant, il faut nuancer cette tendance, car bien que la scène S.E.A ait une croissance réelle, elle reste plus fragmentée que les marchés traditionnels comme Hong Kong, New York ou Londres. De plus, la concurrence des autres villes de la région telles que Singapour, Kuala Lumpur, Jakarta, Hô Chi Minh-Ville est forte.

Malgré ces facteurs qui invitent à la prudence, l’ouverture du Dib Bangkok Museum en décembre 2025 reste un événement majeur et stratégique pour le marché de l’art contemporain en Asie du Sud‑Est, à observer avec attention.