BusinessGrand angle

La luxueuse caverne d’Alibaba

Béatrice Peyrani

By Béatrice Peyrani16 novembre 2020

Le partenariat stratégique signé par le groupe Richemont et le numéro un chinois de la vente en ligne Alibaba avec Farfetch reflète l’accélération de la digitalisation des ventes. Mais il pourrait faire définitivement basculer le centre de gravité stratégique du luxe de l’Europe à la Chine.

5 novembre 2020 - Farfetch, le groupe Alibaba et Richemont ont annoncé un partenariat stratégique mondial pour offrir aux marques de luxe un meilleur accès au marché chinois et accélérer la numérisation de l'industrie mondiale du luxe (DR)

Big Bang dans le luxe? Le numéro deux mondial du luxe, le suisse Richemont (Cartier, Van Clef & Arpels, Chloé…) noue un partenariat stratégique, via le portail britannique Farfetch avec le leader chinois de la vente en ligne Alibaba. Un accord capitalistique qui mobilise, pour commencer, 1,15 milliard de dollars. Mais pourrait surtout sonner le début d’un nouvel ordre mondial du luxe. Avec le basculement à terme du centre de gravité de l’industrie du luxe de l’Europe…à la Chine. Explications.

Que prévoit cet accord de coopération inédit?

Première étape: Richemont et Alibaba investissent chacun 300 millions de dollars dans l’achat d’obligations convertibles en actions émises par la société britannique de vente de mode en ligne Farfetch. Richemont et Alibaba investissent également chacun 250 millions de dollars dans Farfetch China, une nouvelle entreprise dont ils détiendront chacun 25% et qui démarrera son activité au premier semestre 2021. La position de Farfetch sur le marché du luxe a visiblement motivé les investisseurs.

José Neves, fondateur de Farfetch (DR)

Créée en 2007 par l’homme d’affaires portugais José Neves, parce qu’il aimait la mode, la compagnie a réalisé l’an dernier un chiffre d’affaire de 1,3 milliards de dollars.

Introduite à la bourse de New York en 2018, la société affiche une valorisation boursière de 14 milliards de dollars (malgré des résultats toujours dans le rouge depuis 2016), grâce à un portefeuille de 1300 marques vendues dans 190 pays et 2,1 millions de clients. Age moyen des acheteurs: 36 ans, dont 25% ont moins de 30 ans.

Point fort du site e commerce, une esthétique glamour et «magazine» appréciée des fashionitas et qui devrait plaire … aux Chinois!

Seconde étape: Alibaba et Richemont pourront exercer une option d’achat de 24% sur Farfetch China dans les trois prochaines années pour monter à 49% du capital.

Mais dès les prochains jours, Farfetch rejoindra sur la toile les trois plateformes de luxe du groupe Alibaba existant déjà  en Chine: «Tmall Luxury Pavilion» (200 marques ultra prestigieuses dont déjà Cartier), «Luxury Soho» (collections anciennes des marques premium et griffes de jeunes créateurs) et «Tmall Global» (place de marché transfrontalière).

Conséquences: Farfetch va «en quelques clics» accéder à 757 millions de consommateurs chinois, dont certains à très hauts revenus et totalement décomplexés. On se souvient du fameux record des 100 Maserati achetées en 18 secondes sur Alibaba en 2016. Autant dire à l’âge de pierre du digital.

Ma Yun, dit Jack Ma, 56 ans, né à Hangzhou en Chine, est le fondateur du groupe Alibaba (Shutterstock)

Depuis sa création en 1999 par un ancien professeur d’anglais, Alibaba, le numéro un chinois de la vente en ligne a fait du chemin. Le roi du mass market a réalisé 74.5 milliards d’Euros de chiffre d’affaires sur ces 12 derniers mois et sa capitalisation boursière se monte aujourd’hui à 612 Milliards d’Euros. Mais le luxe n’en finit pas de susciter son appétit. 

La Chine, un marché en or

Selon le PDG d’Alibaba, le marché chinois devrait représenter la moitié des ventes mondiales du luxe d’ici 2025, grâce à des centaines de millions de «digital native consumers». Des jeunes de 20 à 30 ans qui habitent dans les quelques 160 mégapoles de plus d’un million d’habitants (contre 9 seulement en Europe ou États-Unis) et qui n’ont pas toujours accès au flagship d’une grande marque. Ultraconnectés, ils passent une grande partie de leur temps à «shopper» sur leur mobile. 

Les marchés ont apprécié l’accélération de la stratégie digitale de Richemont. Depuis l'annonce du partenariat, le titre a gagné 30% (Shutterstock)

Grâce à eux, la Chine est devenue cette année, le premier marché de Richemont devant les États-Unis, une révolution. Dans un monde où les voyages sont devenus difficiles, les boutiques compliquées à achalander, l’alliance Alibaba-Richemont pour doper ses ventes en ligne dans le pays le plus demandeur du monde fait sens. «La crise du Covid avec ses millions de fermetures de magasins dans le monde est un énorme choc et a fait progresser les stratégies e-commerce prévues sur trois ans en trois mois», explique Violaine Gressier, responsable du pôle luxe Facebook France.

Pas étonnant, si Artémis, la société mère du groupe de luxe français Kering (Gucci, Saint Laurent, Bottega Veneta, …) déjà actionnaire de Farfetch entend aussi être de la partie. Elle va investir en actions un petit 50 millions de dollars supplémentaires dans Farfetch. Suite logique de ces mouvements, les PDG de Richemont et Kering, rejoindront un comité de réflexion aux côtés des patrons d’Alibababa et Farfetch.

Outre la volonté de maximiser une continuité marchande entre applications mobile et boutiques, d’autres initiatives des deux groupes de luxe, jusqu’ici concurrents sont-elles à attendre? Certains analystes spéculent déjà sur la constitution d’un groupe Kering- Richemont, qui pourrait se poser en vrai challenger du groupe LVMH.

A court terme, d’autres réorganisations pourraient plus sûrement se profiler. Richemont possède aussi depuis 2018 sa propre compagnie de e-commerce «Yoox Net-a-Porter» (YNAP). Même si ses ventes progressent, YNAP n’est pas encore profitable. Pourtant, déjà  présente chez Alibaba, un nouveau futur se profile-t-il pour la plateforme et avec quelles complémentarités?

Les actions montent

En attendant, les marchés ont apprécié l’accélération de la stratégie digitale de Richemont et de Kering. Les deux titres ont gagné, en une semaine depuis l’annonce de l’opération, respectivement plus de 30% et près de 20% depuis début novembre. Le cours de Farfetch a lui progressé de 396% depuis le début de l’année. Mi-mars avant Covid son titre valait 5.99$ pour maintenant coter à plus de 44$. A titre, de comparaison, une société du vieux monde foudroyée par la Covid, comme Air France ne pèse plus qu’1,7 milliard et a perdu 60% de sa capitalisation boursière sur un an, son titre passant de 11 Euros à 2.6 Euros fin octobre.

«Farfetch peut effectivement devenir un jour le Amazon du luxe ou… pas,…» relève Gilles Pouzin, fondateur du site d’expertise financière Deontofi.com. A moins qu’entretemps Alibaba ne ramasse seul la mise.

Récemment, il a réalisé un nouveau record de ventes à l’occasion de la fête des célibataires, célébré le 11 novembre en Chine: avec plus de 63 milliards d’euros de marchandises vendues pour ses clients, dont 400 pièces de joaillerie Cartier.

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