Voyage & Bien-être

En Finlande, le luxe n’est pas ce que l’on croit

Aymeric Mantoux

By Aymeric Mantoux20 novembre 2025

La Finlande n’est pas seulement le pays le plus heureux du monde pour la 7e année consécutive, il incarne une vision décalée du luxe, entre silence, nature et seconde main.

Le luxe nordique assume sa distinction sans la revendiquer. Il s’agit moins d’impressionner que de se reconnecter – à soi, aux autres, à la nature. Sur la côte de l’archipel d’Helsinki, le "Majamaja Off-Grid Village", ci-dessus, regroupe des cabanes autonomes, loin de tout (Littow Architectes)

Loin du bruit et de la fureur, la Finlande trace une voie singulière, celle d’un luxe de la justesse, qui réconcilie l’homme avec la nature et le sens avec la beauté

Mia Saporito, artiste céramiste

À peine le pied posé sur le tarmac de l’aéroport d’Helsinki, que notre regard sur le luxe change. Oubliez les vitrines tapageuses ou les sacs monogrammés, observez le raffinement, plus feutré et plus juste, d’un café-boutique qui invite à un regain de conscience. Relove, c’est le nom de ce lieu singulier, un concept store de seconde main haut de gamme, installé au cœur du terminal.

Le café Relove, ouvert en 2023, fait aussi office de boutique de seconde main, au sein de l'aéroport d'Helsinki (Relove)

«C’est une première mondiale, confie Heidi Johansson d’Helsinki Partners: jamais un aéroport n’avait osé conjuguer la beauté des objets choisis et la sobriété du geste durable.» Ici, tout respire la justesse scandinave. Les lignes sont pures, le bois clair, la lumière douce comme un matin d’été finlandais. Sur les portants, des pièces de mode triées comme des confidences: du Burberry à l’ancienne, du Marimekko vintage, des silhouettes qui racontent la vie d’avant, mais n’ont rien perdu de leur allure.

À quelques mètres, un comptoir en onyx rose sert un café d’exception, local, bio, infusé dans la lenteur. Ce n’est plus une boutique, c’est une halte, un manifeste, car Relove n’a rien d’un gadget marketing. C’est un laboratoire du luxe de demain, celui qui préfère la patine à la nouveauté, le sens à la possession. On y parle économie circulaire autour d’un cappuccino. Le projet, né de l’esprit de Noora Hautakangas et d’Eero Ukkonen, deux figures de la nouvelle scène finlandaise, s’inscrit dans une éthique nordique du beau utile. «Loin du bruit et de la fureur, la Finlande trace une voie singulière, analyse Mia Saporito, artiste céramiste: celle d’un luxe de la justesse, qui réconcilie l’homme avec la nature et le sens avec la beauté.»

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Un luxe qui se passe de signes extérieurs, mais pas d’âme

Le pays du sauna et du bain glacé s’est inventé un luxe à son image. L’eau, le bois, la lumière sont ses trois matières premières (MyHelsinki)

Ici pas de Ferrari, on n’aime pas le clinquant et même les gens les plus riches sont très discrets

David, auteur finnois

À Helsinki, la modernité s’écrit dans le silence: ici, on recycle, on épure, on sublime. L’aéroport lui-même devient décor et manifeste. Finavia, l’opérateur, l’a compris: demain, les terminaux ne seront plus des zones d’attente, mais des lieux d’expérience, des parenthèses sensorielles. Relove en est le symbole. Le design, signé par Sisse Collander, mêle rigueur et chaleur, matières nobles et transparence, comme une métaphore de ce pays où l’on cultive la beauté sans l’ostentation. Ce qui se joue ici dépasse la simple idée de retail responsable. C’est le luxe qui se repense, qui troque le clinquant pour la cohérence, qui s’allège sans se renier. Relove parle d’une autre forme de désir: celui de voyager plus lentement, consommer plus intelligemment, aimer plus longtemps.

L'aéroport d'Helsinki a été sélectionné comme l'un des plus beaux aéroports du monde dans le cadre du concours international d'architecture et de design Prix Versailles 2023 (ALA Architects & Mir)

Dans un monde saturé d’images et de possessions, Helsinki propose une respiration. Entre deux embarquements, le voyageur croise ici un nouveau mythe nordique: celui d’un luxe qui ne s’affiche plus, mais se vit – au rythme du réel. D’ailleurs le concept store Relove se démultiplie en ville, jusque dans les étages des grands magasins locaux comme Stockman. Le concept s’est d’ailleurs répandu et a été copié par de nombreuses enseignes de seconde main qui ont pignon sur rue et attirent les foules. «Cela correspond bien au tempérament des Finnois, qui font mieux avec moins, souligne David, auteur d’un livre non traduit sur l’art d’être finnois. Ici pas de Ferrari, on n’aime pas le clinquant et même les gens les plus riches sont très discrets. Dans la rue, vous ne les distingueriez pas.» Au centre-ville, pas d’artères consacrées aux marques étrangères, françaises ou italiennes, pas de limousines criardes.

Le pays du sauna et du bain glacé s’est inventé un nouveau luxe à son image: silencieux, sincère, presque spirituel. L’eau, le bois, la lumière – voilà ses trois matières premières. «Depuis les années 50, la Finlande a fait du design un bien commun, poursuit Mia Saporito. “Designs for the people”: tel était le mot d’ordre après la guerre. Pas de fioritures, pas d’ostentation, mais des objets faits pour durer, simples, honnêtes, accessibles.» Un verre d’Alvar Aalto, une chaise d’Artek, un vase d’Iittala: des icônes qui vivent dans les maisons autant que dans les musées. Ce design-là ne séduit pas, il accompagne. Il s’attache à la vie, au quotidien, au geste juste. Et quand les architectes d’ALA – ceux qui ont conçu la spectaculaire bibliothèque Oodi et le nouvel aéroport d’Helsinki – imaginent un lieu, ils le pensent d’abord comme un service public, une extension du bien-être collectif.

Le beau comme fonction sociale

Depuis les années 50, la Finlande a fait du design un bien commun. Pas de fioritures, pas d’ostentation, mais des objets faits pour durer, simples, honnêtes, accessibles

Mia Saporito, artiste céramique

Dans les hôtels contemporains comme au Saint-Georges, le luxe se réinvente avec subtilité. Pas de dorures, mais des matières nobles, un confort feutré, une technologie invisible, des œuvres signées par des artistes locaux.» Le nouveau luxe nordique assume sa distinction sans la revendiquer. Il s’agit moins d’impressionner que de se reconnecter – à soi, aux autres, à la nature. Le luxe c’est prendre le temps, travailler moins, respirer.

Au NH Collection Grand Hansa, ci-dessus, ou au Saint-Georges, à Helsinki le luxe hôtelier se réinvente avec subtilité grâce à des matières nobles ou à une technologie invisible (NH Collection Grand Hansa)

En Finlande, il présente un nouveau visage, apaisé, se réinvente à travers une certaine sobriété qui n’en est pas moins désirable, en témoigne la scène gastronomique nordique très dynamique. Ici le locavorisme ou le zéro déchet écrivent une nouvelle page de la cuisine finlandaise, avec noblesse: "Des aliments rares, sauvages, introuvables, et des tours de main qui étaient perdus pour les conserver et les servir toute l’année," assurent Anton et Jon, du restaurant Skörd, ce temple locavore où tout vient de Finlande – sauf le sel. Six plats d’une subtilité rare, servis comme une célébration du territoire, accompagnés de vins de myrtille ou de groseille.

Chez Finnjävel, qui compte une étoile Michelin, le chef Tommi Tuominen propose un menu 100% local: gibier, baies, pain noir et lait fermenté (Finnjävel)

Le goût devient une géographie intime: la mousse, la forêt, le lac, sans esbroufe aucune. Ici, la simplicité n’est pas un manque, mais une forme d’abondance. C’est peut-être pour cela que les Finlandais se considèrent comme les plus heureux du monde dans toutes les études statistiques. Même esprit en tout cas au restaurant Finnjävel, dont le nom signifie littéralement “le diable finnois” et où le chef joue avec la tradition comme on ravive une flamme. Une étoile Michelin pour un menu 100 % local: gibier, baies, pain noir et lait fermenté. La cuisine de grand-mère revisitée sans honte ni nostalgie, mais avec la précision d’un artisan du XXIᵉ siècle. Ici, le terroir n’est pas un vain mot.

Partout dans le monde, la gastronomie finnoise est à la mode. En France, aux États-Unis, les chefs multiplient les voyages d’exploration dans le pays et ses voisins. La Finlande est à la mode, elle fascine. À Paris, chez PIASA, des ventes aux enchères entièrement consacrées au design battent tous les records de prix et dépassent parfois l’intérêt porté à Prouvé ou à Perriand. D’ailleurs le Design District d’Helsinki, lui, rassemble une nouvelle énergie: jeunes créateurs de mode, bijoutiers minimalistes, studios d’intérieur éthiques, galeries d’art.

Une génération qui redéfinit le chic en version durable

La marque de bijoux Kalevala existe depuis 1937 et produit exclusivement des pièces modernes en argent. Elles sont structurées et intemporelles, à l'image du design finnois (Kalevala)

Dans la famille Sarpaneva, je demande le petit-fils, Stéphane. Il est né dans les années 70, dans une famille finnoise à l’importante lignée artisanale. Fils d’un designer de bijoux, et neveu d’un important designer, il fabrique des montres de luxe à Helsinki, mais pas en or ni serties de pierres. «Tout ce qui est en acier me fascine. Plus jeune, je réparais des vélos, des motos, puis des voitures. Cela a toujours été important pour moi.» Son grand-père était maréchal-ferrant, ceci vient peut-être de cela. “Être prêt pour la nouvelle génération” est le motto de cet inventeur, qui depuis vingt ans, promène son regard singulier sur l’horlogerie depuis son loft industriel d’Helsinki et pour qui les montres doivent surtout être confortables à porter. La marque de bijoux la plus prisée ici, Kalevala, existe depuis 1937 et produit exclusivement des cadeaux accessibles, en argent, que – presque – tout le monde peut s’offrir et collectionner.

Inspirée par la nature du nord, elle se présente comme la transmission d’un artisanat proche de la sculpture élégante et intemporelle. «Ici, le luxe ne brille pas, il respire, s’amuse Magnus Appelberg, ancien danseur, devenu spécialiste et auteur réputé sur l’art de la baignade gelée. Il consiste à prendre le temps. En Finlande, l’opulence se mesure à la qualité de l’air qu’on inspire, à la lenteur du pas sur une route enneigée, à la chaleur du bois après le froid du bain.» Ici, on ne parle pas de sacs Chanel ni de BMW.

Le luxe, c’est le temps – le temps de faire ce qu’on veut, de bien manger, de respirer, de ne rien posséder d’inutile. À Helsinki, même les étudiants apprennent à ménager leur liberté. Pour eux, l’espace est un bien précieux, la lenteur un art de vivre.

Alvar Aalto (1898-1976) était un architecte et urbaniste finlandais, reconnu comme l'un des grands maîtres de l'architecture moderne. En 1962, il a été chargé de concevoir un bâtiment destiné à accueillir des concerts et des congrès, le Finlandia Hall, ci-dessus (Finlandia Hall)


D’ailleurs on considère que les designers finnois stars du XXe siècle comme Aalto ou Saarinen participent profondément à cet état d’esprit parce qu’ils en ont dessiné le cadre, la respiration et l’esprit. Leur architecture, humaniste et organique, a traduit dans la matière ce que la culture finlandaise a de plus précieux: l’harmonie entre l’homme et la nature. Là où d’autres bâtissaient des monuments, Aalto a ainsi conçu des refuges – des espaces où la lumière circule, où le bois respire, où chaque courbe épouse le geste humain. Il a su faire du quotidien une expérience esthétique et apaisée: une chaise Aalto, une bibliothèque ou une fenêtre d’immeuble à Jyväskylä racontent la même philosophie que celle du pays tout entier – celle d’un luxe calme, fonctionnel et sincère. Par ses formes douces et sa sobriété chaleureuse, Aalto a offert aux Finlandais un environnement où beauté et simplicité se confondent. Son œuvre, à la fois humble et lumineuse, est devenue une architecture du bien-être: un art d’habiter le monde sans jamais le dominer. En somme, Aalto a donné au bonheur finnois une forme tangible – faite de lumière du Nord, de bois blond et de lignes humaines. Le design finlandais, c’est l’élégance du nécessaire, la beauté sans bruit. Il a d’ailleurs surtout été conçu pour les gens. Pas pour une élite.

Il est rassembleur, synonyme d’abri et de confort. Simple, il dure. De Saarinen à Aalto, de Wirkkala à Isola, il compose un langage du bonheur discret – celui des lignes pures, des matières sincères et du silence habité. Eero Saarinen en fut l’ambassadeur flamboyant, sculptant des formes fluides qui réconcilient la rigueur nordique et le rêve américain.

La marque Marimekko, fondée en 1951 en Finlande, allie simplicité et audace avec des motifs uniques et une palette vibrante de couleurs (Marimekko)

Aalto, lui, a donné au bois la douceur de la lumière, Aino la poésie du quotidien, Marimekko la joie des couleurs. Tous partagent une même foi dans la simplicité juste: celle d’un luxe sans ostentation, né du dialogue entre l’homme, la nature et le temps.

«Le luxe, c’est l’air qu’on respire, non ?» fait semblant de s’interroger mon guide. Sa manière à lui de souligner que si la Finlande est, depuis sept ans, le pays le plus heureux du monde selon le World Happiness Survey (l’Enquête mondiale sur le bonheur), cela est très relatif.

Cette étude repose sur la question dite de l’échelle de vie de Cantril : «Imaginez une échelle dont les barreaux sont numérotés de zéro, en bas, à dix, en haut. Le sommet représente la meilleure vie possible pour vous, et le bas, la pire. Sur quel barreau de cette échelle diriez-vous que vous vous situez actuellement ?» La Finlande arrive en tête, suivie du Danemark et de l’Islande. Ce qui explique que les Finlandais soient plus heureux que d’autres tient à plusieurs facteurs : faible inégalité des revenus (notamment l’écart entre les plus hauts et les plus bas salaires), fort soutien social, liberté de décision personnelle et faible corruption.

La Finlande possède d’autres atouts contribuant au bien-être de sa population: un système de santé publique très décentralisé et financé par l’État, où le secteur privé est marginal, donc plus efficace que dans bien d’autres pays. Les transports publics sont fiables et abordables, et l’aéroport d’Helsinki est classé meilleur d’Europe du Nord. Un proverbe finlandais semble résumer cette philosophie: Onnellisuus on se paikka puuttuvaisuuden ja yltäkylläisyyden välillä (le bonheur se trouve entre le trop peu et le trop plein).

En 2021, un professeur de sociologie a suggéré que les habitants des pays nordiques sont plus heureux parce qu’ils ont des attentes plus raisonnables. Certains estiment aussi que les Finlandais, conscients du rôle qu’ils jouent dans l’enquête mondiale, y répondent désormais avec plus d’optimisme.

La Finlande figure dans les trois premiers rangs mondiaux sur plus de 100 indicateurs économiques et sociaux. Et ce, sans richesse pétrolière et avec un PIB inférieur à celui de la Norvège. Cela a le mérite d’ouvrir le débat et de considérer de nouvelles voies de réflexion. Crucial à l’heure où le luxe consommatoire atteint ses limites et où la crise économique percute de plein fouet un modèle que d’aucuns espéraient éternel.

À la Bibliothèque centrale d'Helsinki Oodi, la population profitent des espaces de rencontre pour faire vivre la communauté et s'instruire. Le design du bâtiment a été conçu pour et avec les utilisateurs (Marjaana Malkamäki)

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