Christian Knoop, directeur créatif chez IWC: «C’est le designer qui ajoute de la passion à la montre»
Après avoir façonné l'identité créative d'IWC pendant près de deux décennies, Christian Knoop révèle la philosophie rigoureuse qui se cache derrière les designs les plus reconnaissables de la marque. Pour lui, le design pur n'est pas synonyme de minimalisme. L'Ingenieur en est un parfait exemple.
Posséder plusieurs modèles emblématiques pour une marque horlogère est un Graal que peu d'entreprises peuvent se targuer d'avoir dans leur héritage. IWC Schaffhausen, propriété du groupe Richemont, n'est pas toujours le premier nom qui vient à l'esprit à ce sujet. Mais en se plongeant dans son héritage, on découvre des collections qui peuvent se targuer d'être facilement reconnaissables: la Portugieser, l’Aviateur et l'Ingenieur. Ce sont des modèles que Christian Knopp, directeur créatif chez IWC, a dû retravailler au cours de ses dix-sept années de carrière. Et ce n'est pas une tâche facile lorsque certains, comme l'Ingenieur, sont nés de l'imagination fertile de designers stars tels que Gérald Genta. Dans une interview exclusive à Luxury Tribune, il évoque l'exercice délicat que représente la recherche d'un design pur, la refonte d'une icône, mais aussi la manière dont, avec la jeune génération, il amène le style IWC à s’installer dans le XXIe siècle.


L'année prochaine, IWC célébrera le 50e anniversaire du design de l'Ingenieur par Gérald Genta. Récemment, IWC a relancé plusieurs nouvelles versions. Comment vous êtes-vous assuré que l'héritage était respecté ? Ce cadre était-il contraignant pour vous ou stimulant?
Christian Knoop. Pour moi, c'est stimulant, car je vois le design de Genta pour l'Ingenieur tel qu'il est: un produit reconnaissable avec une signature très forte. Mais à mon avis, comme beaucoup d'icônes, ce n'est pas un design parfait à tous égards. Ce que nous avons hérité de Genta, ce sont ces codes de design incroyablement forts. Cependant, en examinant le design de plus près, nous avons également vu des possibilités de changement et d'amélioration. Nous avons donc affiné l'architecture du boîtier, la longueur et la fixation des cornes, la largeur du bracelet, la protection de la couronne, la disposition du cadran et l'intégration du nouveau logo, en plus d'introduire un nouveau mouvement. Il s'agissait d'améliorer l'ensemble de la montre tout en conservant son esprit intact.
Vous avez présenté cette nouvelle Ingenieur à Evelyne Genta. Cela a dû être un moment décisif. Comment a-t-elle réagi et qu'est-ce que cela a signifié pour vous?
J'étais un peu nerveux, car c'est une femme de caractère, franche et directe. Elle a regardé le prototype et a immédiatement été satisfaite, ce qui m'a déjà beaucoup soulagé. Quand je lui ai demandé si elle avait conscience de l'ampleur des changements que nous avions apportés, elle m'a répondu qu’elle les avais notés et que cette évolution était tout à fait dans l'esprit de son mari. Pour Gérald Genta, se contenter de relancer un design vieux de 45 ou 50 ans n'aurait jamais été une option; son état d'esprit était toujours d'évoluer. Pour moi, sa réaction a été le plus beau des compliments et une confirmation puissante que notre approche – respecter les codes originaux tout en faisant clairement évoluer le design – était la bonne.
Était-ce la première fois que vous aviez l'occasion de «toucher» un objet aussi emblématique, créé par un designer légendaire?
Non. Nous avons travaillé sur la collection Portugieser, sur la collection Aviateur qui sont également des icônes très précieuses de la marque IWC Schaffhausen, certaines d'entre elles étant même plus anciennes que l'Ingenieur. Pour moi, la question n'est pas tant de savoir s'il s'agit de M. Genta ou de quelqu'un d'autre. Ce qui importe, c'est que le design soit fort. J'essaie toujours d'imaginer comment pensaient nos prédécesseurs chez IWC, qui existe depuis plus de 150 ans. Ils ne se souciaient pas autant du passé que nous aujourd'hui. C'étaient des personnes audacieuses et visionnaires qui créaient de nouvelles choses. Ce phénomène de «relance» est assez spécifique à notre époque. Historiquement, IWC a été dirigée par de très jeunes managers. F.A. Jones avait 27 ans. Le fils de M. Rauschenbach avait 23 ans lorsqu'il a pris la relève au XIXe siècle. Je pense que nous devons parfois regarder leur travail avec un regard différent, non pas comme quelque chose de purement historique, mais comme le travail d'entrepreneurs courageux et d'ingénieurs visionnaires. C'est ce que j'essaie de garder à l'esprit lorsque nous nous attaquons à ces produits.
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À l'époque, la collection Ingenieur avait représenté un échec retentissant, car elle n'avait pas tout de suite réussi à toucher un public. Au cours de vos 17 années de carrière chez IWC, avez-vous vécu des expériences similaires, avec des collections que vous avez conçues et qui n'ont pas été immédiatement comprises ?
Je pense que le meilleur exemple est probablement la Portofino. La Portofino est une collection qui ne retient pas forcément l'attention, mais qui est pourtant incroyablement populaire et très stable sur le plan commercial. Elle n'est tout simplement pas très médiatisée. Nous avons relancé Portofino en 2011, en nous appuyant sur ce qui avait déjà été fait dans les années 1980 et 1990. C'est une collection très importante pour nous en tant que marque. Elle n'est peut-être pas assez audacieuse et n'est sans doute pas la première montre que les collectionneurs recherchent. Elle est plutôt souvent la première montre des clients.
Vous parlez souvent de «design pur» qui ne souffre d'aucun compromis. Quelle est votre définition du design pur?
Je n'aime pas le réduire à la simplicité, car la simplicité peut parfois être banale. Atteindre la pureté demande des efforts.
Des efforts, et aucun compromis?
Les efforts peuvent parfois impliquer des compromis. Mais pour moi, les efforts signifient rechercher un produit et un équilibre parfaits. La pureté est également quelque chose de techniquement difficile à atteindre, qui nécessite des efforts importants, du savoir-faire et une grande expertise. Nos cadrans Portugieser en sont un bon exemple : épurés, très ouverts, avec une grande clarté dans l’affichage des indications, mais leur fabrication nécessite un processus technique très élaboré. Il en va de même pour le boîtier Ingenieur. Lorsque vous regardez la réalisation d'un boîtier métallique de cette collection, il semble simple, mais il est le fruit d'un niveau très élevé d'ingénierie, d'une construction fine et d'un haut niveau de savoir-faire dans la finition.
En tant que designer industriel, quelle période de l'histoire du design vous fascine et vous inspire le plus?
Je suis un enfant des années 1970, donc le design de cette décennie m’inspire. C'était l'époque des grands noms tels qu'Achille Castiglioni, Mario Bellini, Joe Colombo et d'autres. Ce sont ces créateurs qui ont jeté les bases de ce que je trouvais intéressant et passionnant en tant que designer industriel, et qui m'ont poussé à le devenir. Avec le recul, ce que je trouve particulièrement intéressant à propos de cette période, c'est qu'elle était très avant-gardiste et audacieuse. Les designs étaient moins influencés par l'histoire et faisaient largement appel aux nouvelles technologies.
Et aujourd'hui ? Est-il facile de définir un style?
Notre époque est marquée par un état d'esprit très différent dans la société, beaucoup plus pessimiste qu'à l'époque. Dans les années 70, l'attitude était tournée vers l'avenir. En termes d'esthétique, toutes les tendances coexistent aujourd'hui. Il n'y a pas un seul style à la mode, mais plusieurs styles qui coexistent en parallèle. Cela signifie également qu'il n'y a pas une seule «bonne» voie à suivre. C'est en fait une bonne chose, car cela laisse de la place à la créativité.
Profitez-vous donc d'une plus grande liberté aujourd'hui qu'il y a 20 ans?
Je dirais que oui, sans aucun doute. Nous avons plus de liberté. Ce qui est passionnant chez IWC, c'est que nous disposons d'un portefeuille de produits très riche. Ils sont tous unis par le même ADN de marque l'ingénierie et le design pur, mais ils ont des expressions esthétiques très différentes, allant du très moderne et technique au plus classique et élégant.
Nous avons parlé de design épuré, mais il existe aussi le «bon design». Vous en parlez souvent. Est-ce la même chose?
Pour moi, un bon design est toujours un design pertinent. Aujourd'hui plus que jamais, nous sommes entourés de nouveaux produits chaque jour. Dans l'industrie horlogère, si vous regardez Instagram et les réseaux sociaux, il y a de nouvelles montres chaque jour et chaque semaine. Au final, ce qui fait la différence entre une simple belle montre et un produit vraiment réussi, c'est l'identité, le caractère, la reconnaissance. Cela vient d'un design pertinent. La beauté seule ne suffit pas. Un design pertinent repose sur plusieurs aspects. Sur le plan fonctionnel, il doit être ergonomique, fonctionner correctement et être lisible. Ce sont des principes que nous avons hérités de grands designers des années 70. Il doit utiliser des matériaux de manière responsable, être durable et de haute qualité.
Est-ce ce que vous dites aux jeunes designers qui souhaitent rejoindre votre équipe à l'âge de vingt ans? Quels conseils leur donnez-vous? Et comment considérez-vous cette nouvelle génération qui arrive?
la Portugieser, l’Aviateur et l'Ingenieur. Ce sont des modèles que Christian Knopp, directeur créatif chez IWC, a dû retravailler au cours de ses dix-sept années de carrière
Vous pouvez avoir un produit de très haute qualité, doté d'une ingénierie solide et répondant à tous les besoins fonctionnels d'un client, mais celui-ci ne sera pas forcément enthousiasmé par cette montre. C'est le designer qui ajoute cette passion. Les chefs de produit et les ingénieurs ne peuvent pas y parvenir seuls. Vous avez besoin de designers pour apporter une dimension inattendue, humaine, émotionnelle et sensible.
Cette dimension peut-elle s’apprendre ou est-elle innée?
C'est toujours très difficile à définir. Dans une certaine mesure, vous pouvez l'apprendre et la développer, et vous pouvez y travailler. Mais certaines personnes trouvent cela plus facile, elles l'ont tout simplement en elles.
Qu'apprenez-vous de la jeune génération?
Ils apportent évidemment un ensemble de compétences très différentes, notamment en matière d'outils numériques, avec lesquels nous n'avons peut-être pas grandi de la même manière. Ils ont également une façon différente de percevoir la culture. Ils apportent des influences non seulement de leur pays d'origine, mais aussi d'artistes et de créatifs que je ne suis pas toujours ou que je ne connais même pas. Tout à l'heure, nous parlions des designers des années 1970. Ils ne connaissent pas forcément ces noms, mais ils connaissent d'autres designers que je trouve très intéressants. Ils amènent leurs amis, leurs réseaux, les créatifs qu'ils suivent, et ils les présentent à l'équipe. C'est ainsi que nous façonnons ensemble l'avenir de la marque et que nous formons la prochaine génération de créatifs.
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