ModeGrand angle

Le luxe Made in Italy défend ses artisans

Bettina Bush Mignanego

By Bettina Bush Mignanego25 septembre 2020

Le Made in Italy vit une réalité fragile. Composé de savoir-faire régionaux insoupçonnés, souvent en voie d'extinction, il est aujourd'hui mis en difficulté. Mais la revalorisation du Made in Italy et du fait main ont trouvé un nouvel essor au sortir du confinement. Décryptage.

Le bottier Stefano Bemer, marque florentine reconnue mondialement pour la qualité de la fabrication faite main de ses chaussures. Son atelier est situé dans une ancienne église sur le côté sud de l'Arno. (Stefano Bemer)

L'Italie demeure aujourd’hui l'un des grands centres manufacturiers de produits de luxe et réalise 40% de la production mondiale. Elle est également le premier employeur européen auprès des petites et moyennes entreprises de la mode, un secteur qui emploie plus de 312 000 collaborateurs et compte 55 000 PME selon les données de l'organisme officiel Confartigianato. Au mois de mars, à cause du confinement, la production du cuir, des sacs, des fourrures, de la sellerie a été divisée par deux, la joaillerie a enregistré une baisse de 57% et la production de chaussures une chute de 59%.

Un secteur que le Financial Times a décrit comme sinistré, s’appuyant entre autres sur l’exemple de la ville de Côme, productrice de 80% de la soie européenne, et dont 15 000 artisans sont aujourd'hui malheureusement au chômage technique ou en contrat à durée déterminée probablement non renouvelé. Cependant, ces dernières années, l'Italie a pu résister à la concurrence de l'Europe de l'Est et de l'Asie, malgré le fait que le coût de la main-d'œuvre soit presque trois fois plus élevé qu'à l'étranger, grâce à la meilleure qualité du travail et au savoir-faire traditionnel des ateliers artisanaux, souligne encore le Financial Times.

La Fondazione Arte della Seta Lisio, à la fois école et producteur de soie. était l'un des trente-huit artisans à pouvoir exposer ses créations lors de l'événement initié par Dolce & Gabbana "Il Rinascimento e la Rinascita" qui a eu lieu à Florence début septembre (Pitti Immagine)

Cette situation sans précédent trouve également un écho auprès des personnalités internationales de la mode, dont Anna Wintour, directrice de Vogue Etats-Unis, qui, dans une interview au Corriere della Sera, parle du Made in Italy comme d’un moyen possible de rebond du secteur de la mode après le Covid, grâce à son savoir-faire de très haut niveau, qui lui permet d'être à la fois local et global. 

De Dior à Dolce & Gabbana, les savoir-faire régionaux revalorisés

Pour Patrizio Bertelli, PDG de Prada, il est essentiel de défendre le savoir-faire italien, exactement comme s'il s'agissait d'un brevet. D’ailleurs, et surtout après le confinement, le fait main bénéficie d’une vague de soutien.  Pendant ces longues semaines d'enfermement, tout le monde s’est un peu réinventé artisan, redécouvrant le travail manuel, le bricolage. Et l’artisanat italien, probablement parce qu'il représente le fait main par excellence dans sa valeur liée au territoire, symbolise cette création de biens de luxe fait avec sensibilité, sans hâte, où le geste unique de l'artisan compte.

Défilé Dolce & Gabbana Haute Couture fall/winter 2020/2021 (Dolce & Gabbana)

La marque Dolce&Gabbana a très vite anticipé la tendance, et à Florence, début septembre, elle a défilé avec d'autres métiers artisanaux tels que la haute joaillerie, la haute couture ou la mode sur mesure pour homme afin de célébrer l'artisanat toscan qui compte environ 130 000 travailleurs. Les concepteurs de cet événement ont voulu mettre au cœur de cette initiative l'artisanat de 38 jeunes talents, valoriser l'excellence locale, rendre hommage au passé de la ville, à Florence, à la Renaissance et à l'époque où les artisans étaient considérés comme des artistes.

Les chaussures faites main sur mesure de Stefano Bemer (DR)

Ce fut l'occasion de découvrir les spectaculaires sacs en fibre de coco, argent et pierres fines de Tommaso Pestelli, propriétaire de l'atelier de Borgo Santi Apostoli dédié à la haute orfèvrerie; les tissus précieux de l'ancienne manufacture de soie florentine de Stefano Ricci, les créations de l'atelier de plumes de Duccio Mazzanti, ainsi que les élégantes chaussures de Stefano Bemer, les chapeaux de paille de Grevi, mais aussi les parfums de Lorenzo Villoresi, toujours dans le respect de l'identité de chaque artisan impliqué.

La parfumerie, fondée par Lorenzo Villarosi en 1990 dans l’ancien palais de la famille dans le centre de Florence, crée ses parfums de manière entièrement artisanale (Lorenzo Villarosi)

Dolce&Gabbana n'est pas la seule marque à investir dans des projets visant à mettre en valeur l'artisanat. A Lecce, dans les Pouilles, Dior a fait défiler ses 45 mannequins sur la place principale de la ville, dans un décorum reprenant les codes, musiques et lumières des célébrations locales. Maria Grazia Chiuri, directrice artistique de la maison, et elle-même originaire des Pouilles tenait à rendre hommage à la tradition artisanale et l’art de cette région. La mise en lumière des talents et savoir-faire locaux aura connu, grâce à une diffusion digitale du défilé, une aura mondiale bienvenue pour la sauvegarde des métiers de la région.

Les spécificités de la broderie Tombolo ce sont ces fuseaux de bois – appelés fuselli en italien –, dont le nombre se rapporte à la complexité de la création. La dentelle prend alors vie, à l’image des fleurs et des papillons conçus pour la collection croisière de Dior, qui nécessitent à eux seuls jusqu’à quinze heures de travail. Un hommage à ce savoir-faire virtuose et ancestral, emblème de la richesse artisanale des Pouilles (Antonio Maria Fantetti)

À Milan, l'entrepreneur Aldo Invitti, qui a fondé Prata & Mastrale, une petite entreprise d'excellence de confection de costumes sur mesure pour homme, réalise un projet avec de nombreux artisans tailleurs.  Une histoire atypique qui unit la force d'un entrepreneur au savoir manufacturier de petites entreprises dispersées dans toute l'Italie.

Les maîtres tailleurs italiens à l’honneur

Pour bien comprendre le projet, il faut plonger dans l’histoire de son fondateur Aldo Invitti. Né dans une famille d'industriels de renom propriétaire de la société pharmaceutique italienne «Farmaceutici Dott. Ciccarelli» dont il est le manager, il décide en 2011 de changer de vie, et fonde Prata & Mastrale, House of Tailoring, une maison de mode maculine dédiée au sur-mesure.  Son défi? Investir dans l'artisanat, en gardant cette culture du sur-mesure intacte, loin de la logique industrielle.

Aldo Invitti, fondateur de Prata & Mastrale, House of Tailoring défend le Made in Italy et la richesse des savoir-faire italiens (DR)

Ce n'est pas un hasard si, pour Aldo Invitti, le vêtement sur-mesure représente pleinement la philosophie de l'artisan: c'est un procédé et non un produit, c'est l'ensemble des actions faites par une personne à la demande d'une autre.  Un projet dans lequel interviennent d'excellents tailleurs dans la plus pure tradition italienne, comme celle du maître tailleur Cristiano Zerboni, actif dans la société depuis le début, et célèbre pour cette approche napolitaine des vestes.

La marque Prata & Mastrale

Mais aussi l’excellence de la bienfacture du Sicilien Nino Maccaluso, celle du Milanais Mario Pecora et les artisans originaires des Pouilles Aurelio LaMonarca et Antonio Del Gatto. «Je voulais créer une structure qui puisse offrir une continuité au sur-mesure masculin et à la bien-facture de grands maîtres tailleurs - explique Aldo Invitti - j'ai pensé unir ma capacité financière à celle de leur savoir. Les maîtres tailleurs ont des difficultés à transmettre. S'ils arrêtent leur activité, leur savoir-faire disparaît aussi. Leur vie est une suite de multiples savoirs accumulés au fil d'une très longue expérience qui commence dès l'enfance, dans les ateliers. Ils ont une dextérité manuelle qui confine à l’art, le geste fait la différence, la façon dont ils travaillent le tissu, la façon dont ils maîtrisent les coutures, les retouches. Ils représentent l'une des forces de notre Made in Italy et leur art appliqué mérite d’être mis en valeur».

Cet art appliqué essentiel que le philosophe Emmanuel Kant décrivait ainsi: «La main est la fenêtre de l'esprit». 

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