Stratégie

Comment le luxe de demain devra-il composer avec son héritage?

Isabella Hübscher

By Isabella Hübscher26 octobre 2021

Savoir se projeter dans l’avenir, anticiper les tendances et innover, tout en gardant intact son héritage, c’est la clé d’un management réussi. C’était aussi le thème de la conférence organisée par la société parisienne The Vendôm Company face aux étudiants connectés pour l’occasion. Les temps forts, ainsi que le replay de la conférence sont à retrouver ici.

L'hôtellerie de luxe, une industrie qui doit s'adapter aux attentes des talents de demain (Shutterstock)

La conférence «Culture d'entreprise: comment le luxe de demain devra-t-il composer avec son héritage» organisée par The Vendôm Company et modérée par Cristina D'Agostino, fondatrice et rédactrice en chef de Luxury Tribune, avait réuni le 7 octobre dernier trois experts de l'industrie du luxe, du divertissement et de l'hospitalité. Sur le plateau, en direct de Genève et retransmis via zoom, François-Henry Bennahmias, CEO d'Audemars Piguet, Mathieu Jaton, CEO du Montreux Jazz Festival et Philippe Rubod, fondateur et CEO de Swiss Hospitality Global ont échangé sur la manière dont ils ont géré les changements dans leurs industries respectives, ont défini la notion d'innovation et la manière de la gérer, tout en préservant la désirabilité de leur marque face aux talents de demain.

Ne jamais vendre son âme

François-Henry Bennahmias, CEO de Audemars Piguet depuis 2012 (DR)

Ce que l’on peut appeler «le luxe décontracté», c'est un monde où tout est possible, tant que la marque ne vend pas son âme, ni ne se détache de son ADN

François-Henry Bennahmias, CEO de Audemars Piguet

C’est avec l'importance de la désirabilité des marques de luxe que le débat fut lancé par Cristina D’Agostino. En effet, être innovant, visionnaire ou éthique ne sont plus des prérequis suffisants aujourd’hui pour rester compétitifs. Des notions tels que l'inclusion, le mentorat et l'empathie sont des concepts forts que les industries doivent pouvoir déployer dans leur management et communication interne et externe, afin de séduire le public, mais également de recruter les jeunes talents. Des concepts qui pourrait définir ce que l’on peut appeler «le luxe décontracté». A ce propos, François-Henry Bennahmias expliquait: «Par le passé, toutes les industries étaient séparées et cherchaient peu à pénétrer d’autres mondes que le leur. Cependant, au cours des dix dernières années, les murs sont tombés, rendant le luxe plus riche et inclusif grâce aux partenariats croisés entre univers différents. Aujourd'hui, nous voyons des marques de mode collaborer avec des chanteurs, des designers, des artistes. Cette ouverture d’esprit définit ce que l’on peut appeler «le luxe décontracté». Un monde où tout est possible, tant que la marque ne vend pas son âme, ni ne se détache de son ADN.» Le patron d’Audemars Piguet a ensuite rappelé l'importance d'embrasser la culture pop, où se rejoignent les mondes tels que la musique, le sport et l'art entre autres. «Signer le partenariat avec le Montreux Jazz Festival a été une nouvelle étape pour Audemars Piguet dans son entrée dans la culture pop. Partout sur la planète, la musique est prépondérante, façonne les cultures. Vous ne pouvez pas séparer ces mondes et continuer dans le seul et même sillage qui était le vôtre, il y a 40 ans.»

Attirer de nouveaux talents

Philippe Rubod, CEO et fondateur de Swiss Hospitality Global (DR)

Les valeurs et les objectifs les plus importants des jeunes générations sont l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée et le sens de l'objectif sur le lieu de travail

Philippe Rubod, CEO de Swiss Hospitality Global

Autre constat de ce besoin d’élargissement des mentalités dans le luxe, la nouvelle génération qui entre dans le monde du travail semble rechercher des objectifs différents que par le passé. La conséquence est cruelle: en France, il manque 10'000 travailleurs dans l'industrie du luxe, selon le Comité Colbert. «Les anciennes générations trouvaient leur motivation dans les notions de prestige et de fierté que pouvaient offrir les marques, tout comme de travailler pour une clientèle aisée. Mais aujourd’hui, les choses ont changé, souligne Philippe Rubod, CEO de Swiss Hospitality Global. À mon avis, les valeurs et les objectifs les plus importants des jeunes générations sont l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée et le sens de l'objectif sur le lieu de travail. Les entreprises qui sauront y répondre auront l'avantage pour recruter et retenir les jeunes talents. Autre point important, les personnes de plus de 50 ans ne doivent pas être mises à l'écart, car elles amènent des compétences qui peuvent apporter une vraie valeur ajoutée à une entreprise. Ils ont la grande qualité d’accumuler de l’expérience, y compris dans les situations de crise. Ils ont également une culture, ce qui est crucial pour l'industrie du luxe. Pour de nombreuses raisons, ils font preuve d'une plus grande loyauté envers leurs employeurs et ont également moins de contraintes familiales, pouvant ainsi consacrer plus de temps et de passion à leur travail.»

Le mentorat comme source d'inspiration

Mathieu Jaton, CEO du Montreux Jazz Festival, a repris l'héritage de son mentor Claude Nobs en 2013 (DR)

Même si la jeune génération a ses propres valeurs et objectifs, il reste important de lui montrer la bonne direction. Mais qu'est-ce qui fait un bon mentor? «Il y a différentes façons de faire les choses aujourd'hui, par rapport au passé. Mais quand vous avez la chance d'apprendre de votre mentor des valeurs que vous pouvez partager avec lui, cela vous lie, souligne Mathieu Jaton, qui a repris l'héritage de son mentor Claude Nobs, fondateur du Montreux Jazz Festival, en 2013. Je pense qu’un bon mentor doit être capable d’inspirer et de guider, sans jouer les professeurs. C'est quelqu'un qui vous donne l'inspiration et surtout les clés pour aller plus loin, le dépasser. Il est important de ne pas se contenter de copier son mentor, mais au contraire de réfléchir aux valeurs inculquées et les porter plus loin, avec son cœur, sa personnalité sans jamais changer l'ADN de l'entreprise.»

Un bon mentor c'est quelqu'un qui vous donne l'inspiration et surtout les clés pour aller plus loin

Mathieu Jaton, CEO du Montreux Jazz Festival

Et François-Henry Bennahmias d’ajouter: «J'aime le fait qu'à un moment donné, vous puissiez restituer ce que vous avez appris. Mais comme je le répète souvent, il ne s'agit pas d'enseigner, mais d'encourager le talent et de pousser les collaborateurs à vous mettre au défi. Ce n'est plus une route à sens unique, c'est le partage d'une passion. Et en tant que mentor, la meilleure récompense que vous puissiez obtenir est de faire de quelqu'un une meilleure version de lui-même.»

La pandémie, un accélérateur de changement inéluctable

Alors que les marque sont priées de se réinventer, elles sont aussi constamment disruptées par leur environnement, la conjoncture socio-économique. Le défi d'une marque consiste à réussir à innover tout en conservant son héritage. «La pandémie de Covid-19 a représenté un accélérateur pour un changement qui devait être fait a expliqué Mathieu Jaton, qui a dû affronter un énorme défi au sein de l'industrie du divertissement causé par le coronavirus. Nous ne devons pas nous en tenir à ce que nous faisions dans le passé, nous devons penser différemment, en oubliant les procédures, mais sans jamais oublier les valeurs. C’est ce que nous avons fait en créant cette scène sur le lac, un projet fou, mais qui a rencontré un succès incroyable. Cette folie, Claude Nobs l’aurait eue aussi»

La scène sur le lac du Montreux Jazz Festival 2021 ((c)FFJM - Emilien Itim)

Bien évidemment également fortement impactée par le Covid, l'industrie du luxe a dû s’adapter. «Tout à coup, plus personne ne voyageait. Nous étions confrontés à la fermeture de magasins et nos clients étaient très éloignés, ce qui nous a obligés à nous réinventer très rapidement, à penser local. Nous aurions dû y travailler il y a des années. Nous avons dû réfléchir à comment mieux toucher la clientèle locale et ainsi créer de nouveaux moyens de communiquer avec elle. J'ai alors dit à mes équipes: «restez en contact avec les clients, mais ne leur parlez pas de montres». Suite à cela, nous avons vu les clients revenir encore plus fort, a souligné le CEO d'Audemars Piguet. Cependant, le plus grand succès de 2020, ce fut de réussir à rassembler et à motiver toute notre l'équipe, et à la rendre plus forte que jamais. Nous avons travaillé avec la conviction qu'il fallait être fort à l'intérieur, pour pouvoir être meilleur à l'extérieur.»

Partager l'article

Continuez votre lecture

«Cette pandémie servira à mieux anticiper les suivantes»
Stratégie

«Cette pandémie servira à mieux anticiper les suivantes»

Confrontés à la pire crise de leur histoire, les hôtels de luxe n’ont pas d’autre choix que de se réinventer. Cela passe forcément par la digitalisation, l’élaboration de nouveaux concepts et une meilleure gestion des risques sanitaires. C’est la conviction de Philippe Rubod, CEO de Swiss Hospitality Global.

By Fabio Bonavita

«L’univers du jeu permet de donner vie aux marques de luxe»
StratégieGrand angle

«L’univers du jeu permet de donner vie aux marques de luxe»

Deuxième événement organisé conjointement par Luxury Tribune et le Swiss Center for Luxury Research (SCLR), la conférence «Luxe, gaming et super-héros: la formule gagnante» a été un grand succès. Retour sur un moment riche en enseignements. Replay disponible ici.

By Fabio Bonavita

S'inscrire

Newsletter

Soyez prévenu·e des dernières publications et analyses.

    Conçu par Antistatique