StratégieGrand angle

«L’univers du jeu permet de donner vie aux marques de luxe»

Fabio Bonavita

By Fabio Bonavita20 mai 2021

Deuxième événement organisé conjointement par Luxury Tribune et le Swiss Center for Luxury Research (SCLR), la conférence «Luxe, gaming et super-héros: la formule gagnante» a été un grand succès. Retour sur un moment riche en enseignements. Replay disponible ici.

L'industrie du luxe investit dans le gaming depuis quelques années déjà, visant à atteindre la génération Z, dont 90% sont aujourd'hui des gamers. Ici, la Maison Gucci et son association avec ZEPETO, application et réseau social qui permet de personnaliser des avatars et de créer des mondes imaginaires (Gucci)

La conférence «Luxe, gaming et super-héros: la formule gagnante» s’est tenue le lundi 17 mai au sein de la salle Horizon de HEC Lausanne spécialement conçue pour des conférences zoom. Modérée par Cristina D'Agostino, fondatrice et rédactrice en chef de Luxury Tribune et Félicitas Morhart, professeur de marketing à l'Université de Lausanne et fondatrice du SCLR, elle accueillait un trio d’invités de renom: François-Henry Bennahmias, CEO d'Audemars Piguet, Kelly Vero, créatrice de jeux vidéo et fashion disruptor, et Robert V. Kozinets, professeur à University of Southern California et spécialiste de l'Entertainment marketing. Le but de cette conférence était de comprendre pourquoi le luxe s'intéresse de très près à l'industrie du gaming, comment ses valeurs y sont transmises et plus globalement comment les thèmes sociétaux sont aujourd'hui véhiculés par les films fantastiques et les jeux vidéo. Des étudiants de seize universités se sont connectés, ainsi que des professionnels de l’industrie du luxe disséminés aux quatre coins du globe.

Les échanges entre les intervenants, en direct à l'Université de Lausanne et les participants via zoom ont été passionnés. De gauche à droite: Félicitas Morhart, fondatrice du SCLR, Cristina D'Agostino, fondatrice et rédactrice en chef de Luxury Tribune, François-Henry Bennahmias, CEO d'Audemars Piguet et Kelly Vero, créatrice de jeux vidéo. (DR)

Besoin d’évasion

L’horlogerie doit pouvoir réunir des talents, un savoir-faire de haut vol, et des propositions inattendues

François-Henry Bennahmias, CEO d'Audemars Piguet

Avant d’attaquer les questions liées à l'éthique, la durabilité, l'inclusion, mais aussi les visions d'anticipation diffusées par la pop culture, Cristina D’Agostino a rappelé que le monde virtuel répond à un besoin d’évasion. Un besoin encore plus fort depuis le début de la pandémie de Covid-19. Tout en rappelant que la pop culture connaît des succès phénoménaux, à l’instar du film Avengers: Endgame, à ce jour le succès le plus important de l’histoire du cinéma avec 2.798 milliards de dollars de profit. Sans oublier qu’il y aura trois milliards de joueurs de jeux vidéo d’ici à 2023. Pas étonnant dès lors qu’une marque comme Audemars Piguet rende hommage aux superhéros avec la Royal Oak Concept "Black Panther" Flying Tourbillon.

La Royal Oak Concept "Black Panther" Flying Tourbillon. (Audemars Piguet)

«Je voulais utiliser ce personnage pour mettre en scène notre savoir-faire, a précisé François-Henry Bennahmias. Black Panther est un superhéros qui résume très bien ce à quoi Audemars Piguet est attaché: l’innovation et les idées avant-gardistes.» Ce partenariat est déjà un succès populaire comme l’a rappelé le CEO d’Audemars Piguet: «En seulement cinq heures, l’ensemble des exemplaires disponibles, soit 250 montres, ont été précommandés. L’engouement est total, malgré certaines critiques émises sur les réseaux sociaux. Mais c’est quelques fois le prix à payer quand on veut oser. L’horlogerie doit pouvoir réunir des talents, un savoir-faire de haut vol, et des propositions inattendues.»

François-Henry Bennahmias et l'acteur et producteur Don Cheadle, célèbre, entre autres, pour son rôle du colonel James Rhodes dans les films Marvel Studios. La rencontre entre les deux hommes a été déterminante dans la signature du partenariat entre Audemars Piguet et Marvel Entertainment (Audemars Piguet)

Le monde du gaming prend des risques depuis plus de vingt ans. Des risques que l’horlogerie ne prend plus, certaines marques vendent encore leur montre comme au début des années 2000.

François-Henry Bennahmias, CEO d'Audemars Piguet

Puis de rappeler le besoin d’évasion de la population depuis le début de la pandémie: «Tout le monde passe d’un écran à l’autre, de son ordinateur à son smartphone puis à sa télévision. Les gens veulent du fun, ils ont envie de se faire plaisir avec de beaux objets et d’échanger en live avec leurs amis ou leur famille. Les marques ont la responsabilité d'apporter de l'espoir, de l'amusement, du plaisir et des émotions. Et la pop culture en est une symbolique forte.»

Faciliter l’inclusion

Robert V. Kozinets, professeur à University of Southern California et spécialiste de l'Entertainment marketing, a tenu à préciser que «la culture de masse est symbolisée par le produit. La pop culture résulte, elle, de ce que les gens en font.». Avant de poursuivre avec enthousiasme: «Le monde est rempli d’histoires, en y regardant de plus près, ces histoires facilitent l’inclusion.

Robert V Kozinets, professeur à University of Southern California et l'un des trois intervenants de la conférence (GILBERTO PRIOSTE)

Même s’il a fallu du temps pour voir de vrais héros de couleur à l’écran, ils gagnent désormais en importance et ils ne sont pas réduits à des rôles qui font peur ou qui sont violents. Les gens veulent trouver dans la pop culture les réponses aux questions existentielles de leur époque: sur la vie, la moralité, comment être un bon partenaire ou un bon ami, sur le bien et le mal. Autrefois, la religion pouvait donner ces réponses. Aujourd’hui, la pop culture peut être un vecteur de réponses. Jamais dans l’histoire, nous n’avons été abreuvés d’autant de contenus. En parcourant Netflix, nous pouvons constater que les émissions les plus populaires sont celles qui offrent ce spectre de réponses. Black Panther en est un formidable exemple, un héros noir précurseur.»

Les gens veulent trouver dans la pop culture les réponses aux questions existentielles de leur époque

Robert V. Kozinets, professeur à University of Southern California et spécialiste de l'Entertainment marketing

Celle qui a inventé le personnage mythique de Lara Croft, Kelly Vero, a ensuite précisé: «Ce que nous recherchons dans le luxe ce sont des versions de nous-mêmes, nous aspirons à trouver une version élitiste de nous-même. C’est bien pour cela que l’on achète ce genre d’objets. Dans le métaverse, nous construisons des mondes avec des personnages iconiques. Et en ces temps incertains liés à la pandémie, le monde fantastique nous offre un endroit rêvé. C'est l'une des raisons pour lesquelles l'industrie du gaming est en plein essor et que les marques de luxe souhaitent vivement en faire partie. Les jeux peuvent insuffler de la vie à beaucoup de marques de luxe.»

Kelly Vero, créatrice de jeux vidéo, fashion disruptor et Tech Investor (DR)

Et François-Henry Bennahmias de rebondir: «Le monde du gaming prend des risques depuis plus de vingt ans. Des risques que l’horlogerie ne prend plus, certaines marques vendent encore leur montre comme au début des années 2000.» A ce stade, il était donc logique de demander au patron d’Audemars Piguet si l’intention d’investir dans le gaming était d’actualité. La réponse reste énigmatique, mais il pointe du doigt son T-Shirt choisi ce soir-là pour la conférence, à la symbolique forte: celle FaZe Clan, la société de gaming parmi les plus influentes au monde, avec plus de 350 millions de fans dans le monde.

«Ce que nous recherchons dans le luxe ce sont des versions de nous-mêmes, nous aspirons à trouver une version élitiste de nous-même

Kelly Vero, créatrice de jeux vidéo et fashion disruptor

Mais pour autant, une marque de luxe peut-elle aisément convertir ses fans du métaverse à la réalité ? Sur ce point kelly Vero en est convaincue: «Cela est déjà le cas en Asie du Sud-Est. Les gamers attendent que les achats numériques soient transformés en achats physiques. Les «skins» Louis Vuitton dans le jeu Leage of Legends, ou l'implication récente de Burberry dans Honor of Kings en sont la preuve. Ce que les gens désirent et avec lequel ils jouent dans les jeux vidéo se manifeste dans le monde physique aussi.» Et à la question cruciale d’un auditeur de savoir si un jour Audemars Piguet proposera des montres uniquement virtuelles, François-Henry Bennahmias n’a rien confirmé, mais a simplement ajouté avec un léger sourire en guise de points de suspension:  «wait and see».

Mais les jeux vidéo peuvent-ils changer le monde? Oui, selon Kelly Vero et François-Henry Bennahmias. Et Kelly Vero de conclure: «La gamification met en lumière de nouvelles réalités. Elle permet aussi d’aborder les questions de la durabilité, du genre, de l’inclusion. Le monde virtuel peut certainement symboliser la démocratie ultime.»

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