Innovation & Savoir-faire

Alexandre Edelmann, directeur de Présence Suisse: «Le Swiss made est un vrai luxe»

Un mois après l’inauguration de l’Expo d’Osaka, Alexandre Edelmann souligne l’importance pour la Suisse de faire entendre sa voix dans un contexte mondial où les alliances se redéfinissent. Le pavillon «From Heidi to High-Tech» joue la carte de l’innovation et du «Swiss Made», perçu comme un luxe à part entière. L’occasion de le questionner sur les liens entretenus entre Présence Suisse et le secteur du luxe.

L'architecture en bulles du pavillon suisse s'organise en trois thèmes majeurs de la Suisse à l'Expo: l'humain augmenté, la vie et la planète. Sa construction a été réalisée en collaboration avec l'architecte Manuel Herz, l'entrepreneur général NUSSLI Group et les scénographes Bellprat Partner, à l'issue d'un appel d'offres. (FDFA, Presence Switzerland)

En déclarant, il y a quelque temps, «Boring is The New Sexy» en parlant de la Suisse, l’ambassadeur Alexandre Edelmann, directeur de Présence Suisse – l’entité du DFAE en charge de la promotion de la Suisse à l’étranger – jouait la provocation maîtrisée. Un nouveau style de langage, quelques fois indispensable selon lui dans le brouhaha du monde où la communication diplomatique devient souvent inaudible. Toutefois, loin de lui l’idée d’une prise de risque inconsidérée. Celui qui a succédé à Nicolas Bideau fin 2022, aujourd’hui Chef Communication du DFAE, mesure ses mots, bien dans son costume d’ambassadeur, qu’il aura troqué, ce jour-là, pour un jean et une veste en coton, une montre Omega (à quartz) au poignet, «celle de mon grand-père», précisera-t-il. Une allure simple, qu’il affectionne, loin des apparats qui pourraient se raccrocher à sa fonction.

Alexandre Edelmann, directeur de Présence Suisse (FDFA, Presence Switzerland)

Dans son bureau de la rue Bundesgasse, quelques symboles de la Suisse forment un ensemble plutôt sobre, dont cette affiche d’un Guillaume Tell revisité par Marvin Merkel, un ancien étudiant de l’ECAL. Dans sa main, un emballage de chocolat KitKat aux couleurs du pavillon suisse d’Osaka qu’il tend, en guise de bienvenue. «C’est un symbole de chance au Japon, qui se rapproche phonétiquement de “Tu vas certainement gagner” et que l’on donne volontiers à quelqu’un qui va passer un examen, raconte-t-il. Intéressant la force des symboles, et ici, en l’occurrence il est suisse!» Une entrée en matière tout en diplomatie, pour un entretien exclusif qui traitera de la portée de l’image de la Suisse à l’étranger et en particulier à l’Expo universelle d’Osaka, de sa position stratégique sur la carte de l’innovation mondiale et dans quelle mesure ses valeurs façonnent les fondements du luxe suisse.

L’Expo universelle d’Osaka a ouvert ses portes depuis un mois, quelles premières observations ou bilan pouvez-vous tirer quant à l’impact du pavillon suisse?

La fréquentation est bonne et correspond à ce que nous visions, c’est-à-dire entre 5000 et 6000 personnes par jour, soit environ 5% des visites globales de l’Expo. Alors que deux ans avant ses débuts, les polémiques sur l’enthousiasme modéré des Japonais à son propos dominaient dans les médias – mais c’est assez courant de manière générale, rappelez-vous les Jeux de Paris – c’est un gros succès. Notre enjeu est d’être un des pavillons qui génère le plus de visibilité, comme à Dubaï où nous avons compté 1,6 million de visiteurs et une reconnaissance médiatique sur la qualité du projet.

Quelles sont vos stratégies pour y parvenir?

Le Heidi Café, sur le toit du pavillon suisse propose des plats régionaux rehaussés de saveurs japonaises et une sélection de vins suisses (FDFA, Presence Switzerland)

Le pavillon suisse est très bien placé. C’est essentiel. Puis, la Suisse est l’un des pays qui a communiqué le plus tôt sur son pavillon dans les médias japonais; nous avons organisé plusieurs événements en amont pour bien ancrer son imaginaire. Son architecture en bulles offre une esthétique intéressante, la circulation y est fluide. Le contenu du pavillon a reçu beaucoup de couverture. Il est intéressant de constater que le public reste plus longtemps que ce que l’on pensait, notamment dans la sphère consacrée à l’innovation. En résumé, la forme et le fonds intéressent.

S'inscrire

Newsletter

Soyez prévenu·e des dernières publications et analyses.

Quel a été le budget du pavillon suisse?

Il était de 17,6 millions de francs, dont deux tiers provenaient de la confédération avec un crédit spécial voté par le parlement, et un tiers des institutions, des cantons, et des entreprises privées. Nous n’avons pas atteint tous les objectifs sur ce plan, nous avons donc compensé à l’interne pour maintenir la charge nette supplémentaire pour la Confédération.

Travaillez-vous avec l’industrie du luxe à ce niveau?

Le pavillon suisse à l'Expo de Dubai en 2021-2022 avait attiré 1,6 million de visiteurs (Shutterstock)

Pas assez! Pour les Jeux olympiques de Paris, nous comptions Omega, également sponsor des Jeux. À l’Expo universelle de Dubaï, nous avions Rolex. L’horlogerie est un secteur important, mais cette année, pour Osaka, nous n’en avons pas. Nous étions pourtant en discussion avancée avec certains, mais cela ne s’est pas concrétisé. Le Japon est un marché très important, stable, avec peut-être moins d’enjeux pour le secteur? La prochaine Expo en 2030 à Riad devrait attirer plus. Nous sommes actuellement en phase préparatoire. La décision sur une participation appartient au parlement et au Conseil fédéral. Nous serons aussi à Belgrade en 2027, à l’expo spécialisée, où nous communiquerons de manière encore différente en fonction des enjeux géopolitiques qui s’y trouvent.

Pourquoi avoir fait ce choix d’une Heidi d’Épinal, et non une image plus futuriste, pour le pavillon d’Osaka?

Heidi est formidable, c’est l’incarnation d’une jeune femme libre qui porte ses choix. C’est une image très contemporaine. Au Japon, sa représentation sous forme de manga est extrêmement populaire. Tout le monde s’arrête pour prendre une photo avec la mascotte qui la représente. C’est une des rares personnalisations d’icône suisse. Notre thématique «Heidi to High-Tech» fonctionne bien, tout comme celle de «Heidi to AI», que nos collègues du Consulat général de Suisse à San Francisco ont organisée. L’idée, aujourd’hui, est de cibler à la fois le grand public, mais également le BtoB, en l’occurrence ici le monde scientifique.

Le Conseiller fédéral Ignazio Cassis, Chef du DFAE - Département fédéral des affaires étrangères - et Heidi, la mascotte du pavillon suisse (FDFA, Presence Switzerland)

Aujourd’hui, alors que les règles du monde changent, quels sont les besoins de la Suisse en termes d’image?

Rester pertinents et utiles pour les autres. Nous ne vivons pas une crise d’image de la Suisse, mais un moment de redéfinition au niveau global. Notre besoin est de rappeler que la Suisse est une boussole, lorsque tout tangue. L’image de la Suisse est bonne et très identifiable partout dans le monde. Le Nation Brand Index qui liste la perception des pays classe la Suisse dans le top huit.

Comment aiguiser cette perception de confiance envers la Suisse?

À Osaka, c’est par exemple d’expliquer au grand public que la Suisse est fortement liée à l’innovation, par exemple dans le domaine du quantum computing ou avec l’anticipation scientifique et diplomatique (le GESDA – Geneva Science and Diplomacy Anticipator). C’est une façon de montrer que le Swiss made élargi à ces enjeux est gage de qualité et peut ainsi inciter des entreprises japonaises à investir dans les capacités suisses. Nos produits ont un prix élevé, car à forte valeur ajoutée. Il faut donc démontrer que la Suisse est le meilleur choix. Nous y sommes condamnés. Le même enjeu se retrouve dans le champ diplomatique. Le fait que la Chine et les États-Unis se soient rencontrés récemment à Genève est une très belle preuve de son rôle de facilitateur.

Dans un monde plus polarisé, la manière de communiquer doit tout de même changer…

Dans le pavillon suisse, une partie est dédiée à montrer comment les humains et l'IA cocréent de nouvelles opportunités et de nouveaux récits pour un avenir guidé par la science et la technologiel. Elle est proposée par la Geneva Science and Diplomacy Anticipator Foundation (GESDA) (FDFA, Presence Switzerland)

Oui. Mais il ne faut pas rajouter du bruit au bruit. Si le prix à payer pour être entendu est de renoncer à nos valeurs, cela n’en vaut pas la peine. En ce moment, nous travaillons à mieux définir qui nous devons atteindre pour défendre nos intérêts. Cependant, nous ne devons pas convaincre tout le monde de la même manière, notamment en matière d’innovation. Ici au Japon, le message est clair et s’appuie sur le pavillon d’Osaka à l’Expo universelle, mais aussi sur celui de SusHi Tech, l’une des plus grandes foires de l’innovation dans le pays, où notre pavillon a gagné le premier prix. C’est cette cohérence sur la durée qui fonctionne. Le rôle de la Genève internationale est aussi essentiel, il est crucial de le faire savoir auprès des décideurs, moins du grand public.

Vous avez déclaré récemment «Boring is the New Sexy». Un changement de ton dans la communication suisse?

Cela frappe les esprits, de manière étonnante, et permet d’insinuer: «S’ils sont prêts à le dire, c’est qu’ils ne doivent pas être si ennuyeux!» Il faut aller chercher l’attention, pour ouvrir une discussion. Cela dit, il faut respecter la constellation suisse, et de ne pas créer de tensions. Nous devons adapter notre langage à ce qui va fonctionner, c’est notre travail: traduire dans des actions de communication des décisions ou des positions dans les domaines politiques, scientifiques ou économiques. Aujourd’hui, tout le monde revendique d’être extraordinaire. L’humilité de la Suisse contraste, mais je nuancerais en disant que la Suisse est très fière d’être modeste! Jouer sur ce concept est intéressant.

Comment répondre aux provocations aujourd’hui, qui s’accentuent dans les communications diplomatiques, aussi en provenance des États-Unis?

Le fait de choisir d’y répondre ou non est politique. Présence Suisse travaille sur la technique de communication; le degré d’intensité, lui, est politique. C’est certain, le volume a augmenté, surtout du côté des États-Unis. Nous y travaillons, pour renforcer ce qui fonctionne.

Où sont vos intérêts aux États-Unis?

Le gros du travail de la diplomatie publique est fait par les collègues en place au sein des ambassades. Nous leur apportons un support. Un des défis avec l’administration Trump est de comprendre son fonctionnement, qui diffère de l’administration précédente. Notre travail est de valoriser l’impact de la Suisse au niveau économique, auprès de publics différents, et de rester audibles, avec une image positive auprès de tous les médias et de ceux qui décident, dans chaque état. La manière peut varier, mais le fond est le même.

Quelle est l’image du luxe suisse selon vous?

Le salon Watches and Wonders Geneva, en avril 2025, a accueilli 60 marques horlogères (Watches and Wonders/ AFP Pierre Albouy)

Le luxe en Suisse n’est pas structuré. Il n’y a pas de politique industrielle. La société s’organise et l’état crée des conditions-cadres. Cette manière, très bottom-up a fait le succès de la Suisse. Si les acteurs du luxe ne se structurent pas, ce n’est pas à l’état de prendre ce rôle, mais il est vrai qu’ils ne sont pas toujours solidaires les uns des autres. Présence Suisse n’a pas de discours spécifique sur le luxe et le secteur n’en manifeste pas le besoin. Les marques de luxe sont déjà des porteurs d’image puissants, et sur ce point, le salon international de Watches and Wonders à Genève le montre de manière impressionnante. Lorsque les marques horlogères sont présentes à l’étranger, elles racontent quelque chose du pays.

Comment définissez-vous le luxe suisse?

Il y a bien sûr l’horlogerie, même si toutes les marques n’en sont pas. Je pense également à la santé, à l’éducation, à l’hôtellerie. Philosophiquement, si l’on part du postulat que le luxe n’est pas utile, alors rien n’est luxe en Suisse, car ce qui nous constitue, c’est d’abord la fonction. Le luxe est paradoxal, car certains produits sont très baroques, alors que d’autres sont très sobres. Le quiet luxury est un concept intéressant, c’est assez suisse, proche de notre identité protestante, où l’ensemble de son image est basé sur la qualité, l’honnêteté, la confiance. En ce point, le Swiss made est un vrai luxe.

La difficulté des acteurs du luxe en Suisse de parler d’une seule voix est pourtant bien présente…

Effectivement, mais ce n’est pas à l’état de le faire. En revanche, s’associer à une grande manifestation comme Watches and Wonders peut être intéressant. J’ai abordé cette réflexion avec le directeur de Palexpo. L’idée n’est pas de faire la promotion du luxe suisse, mais de croiser nos intérêts. Cette industrie façonne grandement l’image de la Suisse et vice versa. Bien sûr, le revers est l’image de cherté. L’idée ici n’est pas de survaloriser le prix, mais d’avoir une perception juste de la valeur du produit en adéquation avec sa qualité. Je ne suis pas certain que l’horlogerie doive se situer uniquement dans le haut de gamme, le cœur industriel du secteur dépendant de plusieurs segments. Produire un million de montres est tout aussi difficile que de produire une montre à 1 million. La confiance et l’innovation restent nos deux piliers pour la stratégie 2025-2028 de Présence Suisse et le luxe est parfaitement aligné sur ces valeurs.

L'Expo universelle d'Osaka au Japon compte 160 pavillons. Elle se poursuit jusqu'au 13 octobre 2025. Au centre, le pavillon suisse (FDFA, Presence Switzerland)

Partager l'article

Continuez votre lecture

A Dubaï, le Women’s Pavillon a réussi à rendre la défense du droit des femmes incontournable
Stratégie

A Dubaï, le Women’s Pavillon a réussi à rendre la défense du droit des femmes incontournable

Résultant d’un partenariat public-privé, le Women’s Pavillon cocréé par Cartier et l’exposition universelle de Dubaï a réussi à attirer plus de 250 000 visiteurs. L’ambition est de poursuivre cette initiative à Osaka, pour l’exposition universelle en 2025.

By Cristina D’Agostino

Au Japon, des trains à thèmes pour sauver le réseau ferroviaire
Voyage & Bien-être

Au Japon, des trains à thèmes pour sauver le réseau ferroviaire

La région de Niigata au Japon, pionnière d’une nouvelle forme de tourisme, pourrait devenir un exemple pour l’Europe. Pour sauver son réseau ferroviaire secondaire, elle a mis en place des trains touristiques pour découvrir les richesses du pays.

By Eva Morletto

S'inscrire

Newsletter

Soyez prévenu·e des dernières publications et analyses.

    Conçu par Antistatique