Voyage & Bien-être

Au Japon, des trains à thèmes pour sauver le réseau ferroviaire

Eva Morletto

By Eva Morletto28 décembre 2021

La région de Niigata au Japon, pionnière d’une nouvelle forme de tourisme, pourrait devenir un exemple pour l’Europe. Pour sauver son réseau ferroviaire secondaire, elle a mis en place des trains touristiques pour découvrir les richesses du pays.

Grâce à l'ancien premier ministre Tanaka Kakuei, la région de Niigata a été précurseure en sauvant ses lignes ferroviaires secondaires. Elle les a transformées en lignes touristiques qui offrent des trains à thème, allant de la gastronomie à l'art (DR)

La région de Niigata a été pionnière. Plusieurs trains touristiques permettent aujourd’hui aux voyageurs de découvrir l’époustouflante côte de la mer du Japon et les vallées bucoliques de cette préfecture encore méconnue des étrangers.

C’est grâce à la volonté de l’ancien premier ministre Tanaka Kakuei, originaire de cette région, si Tokyo est aujourd’hui connectée à cette ville provinciale. Grâce à un shinkansen (train à haute vitesse), les deux centres sont désormais reliés en seulement deux heures et demie. Kakuei s’était montré précurseur. Le train est écologique et démocratique: il permet aux plus petits centres de rester connectés au reste du pays et de pouvoir ainsi offrir facilement aux voyageurs leurs attractions et leurs atouts.

Mais les lignes secondaires ont eu un coût non négligeable sur les finances publiques. Surtout depuis que le réseau routier a largement remplacé le chemin de fer pour le transport des passagers. Comment faire donc pour maintenir ce patrimoine?

Le Japon a misé sur une idée précurseure, qui pourrait bien être imitée par les pays européens qui vivent les mêmes problématiques.

Les voyageurs ont désormais la possibilité de découvrir l’époustouflante côte de la mer du Japon et les vallées bucoliques de cette préfecture (DR)

Lignes peu rentables, gares qui ferment, petites villes coupées du réseau du chemin de fer pour manque de moyens et un budget insuffisant… c’est le lot de soucis auxquels font face de nombreuses zones de campagne en France et en Italie, entre autres. Les wagons et les infrastructures deviennent obsolètes, l’entretien est coûteux, le personnel manque, les services sont insuffisants.

Chaque année, le réseau ferroviaire se raccourcit et les grandes compagnies de trains préfèrent investir dans les réseaux à haute vitesse qui relient les métropoles, plutôt que de créer de nouveaux budgets pour les petites lignes périphériques où les passagers se font rares.

Mais voilà qu’une inédite leçon d’investissement intelligent pointe à l’horizon, venue du Japon.

Pour résoudre les problèmes budgétaires, la JR East, une des plus puissantes compagnies ferroviaires nippones, a décidé d’investir dans une idée de plus en plus répandue dans l’archipel: les trains touristiques à thème.

Les lignes secondaires sont aujourd'hui très prisées des voyageurs pour découvrir les beautés du Japon (Shutterstock)

Trains à vapeur, trains-musées, trains gastronomiques… l’offre est variée et tentante.

Les trains touristiques offrent la possibilité de visiter entre autres les rizières, villages traditionnels et thermes chaudes de la région de Niigata (DR)

Dans la région de Niigata, entre rizières et côtes pittoresques, entre villages traditionnels et thermes chaudes cachées dans les bois, on peut s’offrir un voyage dans le temps grâce au SL Banestsu Monogatari, un train à vapeur qui dispose d’espaces d’observation très bien aménagés et offre aux passagers la possibilité de déguster un bento (boîte-repas) spécial, dont la recette est la même depuis 1897, quand elle fut commercialisée pour la première fois. Si la locomotive date des années 40, les espaces intérieurs du train sont hyper design et confortables et permettent des vues d’exception sur le paysage montagneux.

Pour les passionnés d’art, le Genbi Shinkansen est le train idéal; il parcourt le trait entre Niigata et Echigo-Yuzawa et chaque voiture offre une exposition d’art contemporain. Les voyageurs n’auront donc pas que le paysage à admirer: dans ce train-musée, rien n’est laissé au hasard, les plus grands noms de l’art contemporain japonais y trouvent leur espace et les intérieurs en cuir et miroirs gravés attirent les touristes les plus exigeants. Plusieurs allers-retours sont prévus le week-end.

Parfois, les infrastructures extérieures sont également mises à contribution pour rendre le voyage encore plus féerique. Si vous montez dans le Yumezora, des images suggestives et des films sont projetés sur le plafond du train lors de la traversée des tunnels.

Souvent, les films présentent des atouts de la région: c’est le cas des projections sur le savoir-faire artificier, une tradition millénaire devenue une attraction des villes de la préfecture.

Autour de Niigata, on remarque la présence constante des rizières. Le saké fait partie des produits locaux les plus renommés. Si vous montez dans le train ShuÚKura, vous pourrez déguster les meilleurs crus régionaux et vous vous retrouverez dans une charmante brasserie nomade et typique, immergés dans une ambiance musicale qui rendra encore plus exceptionnelle la ligne côtière qui longe la mer du Japon vers Kashiwazaki, avec ses flots couleur cobalt.

Pour réserver un de ces trains touristiques il faut souvent s’y prendre des mois à l’avance (DR)

Le luxe extrême voyage sur les rails

Il n’y a pas que la préfecture de Niigata qui a misé ces dernières années sur les trains touristiques: en 2017, le Japon a vu l’inauguration du convoi super luxueux Shiki-Shima, véritable palace sur rail, conçu par le designer Ken Kiyoyuki Okuyama, déjà connu par la maison automobile Ferrari pour avoir dessiné son modèle « Enzo ».

Le Shiki-Shima relie en quatre jours la capitale Tokyo et l’île d’Hokkaido et ses paysages enneigés féeriques. Le coût du ticket se situe autour de 8500 euros. Pour ce prix, on bénéficie d’une cuisine étoilée, de deux salons d’exception avec leurs immenses baies panoramiques, d’une ambiance qui rappelle un temple majestueux consacré à la méditation, des époustouflantes suites à trois étages qui défient les lois de l’ingénierie.

Un rêve d’enfants et une vision pour demain

Investir dans les trains à thème peut permettre une injection de fonds considérables garantissant la survie de plusieurs lignes considérées comme peu rentables (DR)

Pour ceux qui gardent une âme d’enfant, c’est dans l’île de Kyushu qu’il faut aller, pour monter dans l’Aso Boy. Ce train, dont l’itinéraire change régulièrement, pourra vous conduire dans la spectaculaire ville thermale de Beppu, perpétuellement nimbée de délicates brumes de vapeur dues aux innombrables sources d’eau chaude environnantes, les célèbres onsens. Il vous conduira aussi à Aso, aux pieds du volcan qui porte le même nom, ou encore dans la région bucolique de Kumamoto, avec ses bois et ses vallées peuplées de villages artisanaux.

Le ludique Aso Boy est pensé surtout pour les enfants: des sièges conçus pour eux, des piscines à boules, des images de manga qui égaient les parois, ou encore une vaste bibliothèque pensée pour que les plus jeunes trouvent leur bonheur.

En France, lorsque la SNCF a commencé à gérer le réseau ferroviaire national, le projet envisageait la fermeture d’environ 20 000 km de lignes. Ce plan drastique s’est poursuivi jusqu’à la fin des années 70. Depuis cette décennie, le réseau s’est ultérieurement privé de lignes secondaires, surtout dans les régions les plus reculées.

Investir dans les trains à thème permettrait une injection de fonds considérables qui garantirait probablement la survie de plusieurs lignes considérées comme peu rentables.

Le succès des trains touristiques a été considérable. Cela a également permis de remettre à flot la santé économique du réseau ferroviaire secondaire (DR)

Au Japon, pour réserver un de ces trains touristiques, il faut s’y prendre souvent des mois à l’avance. Le succès a été considérable, et a permis de remettre à flot la santé économique du réseau ferroviaire secondaire, mais aussi de valoriser les atouts (monuments, activités artisanales et culturelles) de villages et des lieux traversés par les lignes concernées, de façon à booster le tourisme et la popularité de ces destinations jusque là peu connues du public: un pari que l’Europe aurait aussi intérêt à gagner.

Depuis, le groupe Puy du Fou vient d’annoncer en France la création d’une nouvelle Compagnie Ferroviaire: la Compagnie de France.

L’opérateur du parc de loisirs en Vendée proposera, à partir de 2023, un « grand tour » à la rencontre d’expériences exclusives: visite des caves de champagne, dégustations, croisière sur le lac d’Annecy entre autres. Le tour durera six jours et le prix du ticket s’élèvera à environ 5000 euros. Le financement du projet a été rendu possible grâce à l’initiative du pool bancaire constitué par Crédit Agricole, Crédit Mutuel, Banque populaire, et Bpifrance.

Pour l’industrie ferroviaire, une nouvelle aube s’annonce… que l’on espère non uniquement réservée au du pays du Soleil levant.

Références

  • 1

    Pour en savoir plus: le journaliste français Claude Leblanc a écrit un livre spécialement dédié aux itinéraires en train au Japon: « Le Japon vu du train » paru aux éditions Ilyfunet. Ces mêmes éditions publient le magazine en free press Zoom Japon, où retrouver beaucoup d’articles originaux dédiés au voyage dans le Pays du Soleil Levant.

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