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Un Suisse élu commodore du Royal Yacht Club de Hong Kong

Cristina D’Agostino

By Cristina D’Agostino17 juillet 2020

Denis Martinet, un Romand établi de longue date à Hong Kong, se hisse au plus haut niveau de direction du premier yacht club d’Asie.

Les concurrents en action lors de la régate Around the Island le 16 novembre 2014 à Hong Kong , Chine. (Xaume Olleros / Power Sport Images)

C’est l’un des plus grands yacht clubs du monde. Ses 11'000 membres, son prestigieux passé marqué par de très anciens championnats d’aviron et l’héritage des nombreux commodores qui se sont succédé à sa tête depuis 1890 font sa renommée. Sur Causeway Bay, il domine les eaux de la Baie Victoria depuis les prémisses de la colonisation britannique.  Aujourd’hui, si les innombrables tours modernes composent le paysage urbain de Hong Kong, «naviguer au large de la ligne côtière de Hong Kong demeure l’une des expériences les plus marquantes pour un passionné de voile» selon le commodore du yacht club, Denis Martinet.

Récemment élu pour un mandat de deux ans, il est le premier suisse à se hisser au sommet du commandement. D’origine anglaise par sa mère, Denis Martinet est né sur les rives du lac Léman, à Lutry. C’est d’ailleurs là qu’il apprend la voile, qu’il se confronte aux difficultés des eaux changeantes «du grand lac», pour trouver, in fine, sa passion. Sa carrière dans l’hôtellerie lui imposera une longue trêve nautique. D’abord pour Hyatt, puis pour le groupe Mandarin Oriental, où il est nommé directeur adjoint de l’hôtel de Macao en 1990, il comprend que l’Asie est son nouveau pôle magnétique. Il se rapproche peu à peu du milieu horloger, avec Desco von Schultess, pour devenir, début 2000, l’un des distributeurs de montres suisses qui compte en Asie. Installé à Hong Kong depuis près de vingt ans, sa connaissance du secteur du luxe en Asie est totale, riche d’une succession d’essors et de crises économiques. C’est au téléphone, depuis Hong Kong, qu’il raconte comment, du club nautique «des Singes» de Lutry, il peut désormais accrocher le «dragon or», emblème du Royal Hong Kong Yacht Club, à sa veste de commodore.

Un Suisse à la tête du Royal Hong Kong Yacht Club c’est atypique. Est-ce une façon pour vous d’enrichir votre réseau?

Pas du tout. On pourrait le croire, mais non, ce n’est pas le cas. Le réseau s’est établi au fil des ans, depuis longtemps. Je suis devenu commodore simplement parce que je suis un vrai passionné de voile. J’ai commencé la voile à Lutry, à la « Singerie », j’avais un Moth, je faisais du 470. Mais malheureusement, ma carrière et les voyages ne m’ont jamais permis de vraiment pratiquer de manière régulière. C’est lorsque je me suis établi à Hong Kong avec mon épouse Joanne que j’ai eu le temps de le faire. J’ai rejoint le Royal Hong Kong Yacht Club en 2004. Et j’ai très vite aimé y être actif. C’est un lieu exceptionnel, au bord de l’eau, dans un petit coin de paradis. Les gens que vous pouvez y rencontrer sont captivant. Typiques de ce sport. Je compare d’ailleurs la voile à un échiquier qui bouge constamment. C’est très tactique. Très compétitif. Malheureusement, trop peu de femmes y sont actives.

La clientèle est-elle surtout composée d’expatriés?

Pendant longtemps, cela fut le cas. Il suffit de regarder les noms des commodores. Des membres de la Royal Navy d’abord, puis au fur et à mesure que la société de Hong Kong s’ouvrait, la diversité a été possible. Aujourd’hui, la majorité est asiatique, et plus d’une vingtaine de nationalités représentées. Nous avons 6000 membres actifs, et 11'000 en tout. C’est le plus important yacht club d’Asie, si ce n’est du monde !

Le Royal Hong Kong Yacht Club sur la Baie Victoria (DR)

Quelles sont vos ambitions?

Ma vice-commodore est une femme et j’espère qu’elle me succédera. La diversité est primordiale, et encourager les femmes, les jeunes dans des rôles importants est une de mes priorités. Je souhaite évidemment augmenter notre présence sportive au niveau international. J’ai pu participer à de très belles régates à l’étranger, et j’aimerais continuer a développer une régate locale a renommée internationale, la Rolex China Sea Race. En outre, inviter des membres d’autres clubs à venir régater sur une catégorie identique, dans la baie de Hong Kong fait également partie de nos objectifs. Naviguer dans la baie, au milieu des gratte-ciels est mythique, et je veux partager cette sensation.

Vous souhaitez faire de Hong Kong une étape importante des grands circuits?

Nous avons accueilli la Volvo Ocean race il y a deux ans, nous avons le World Match Racing Tour qui va arriver en début d’année prochaine. Et je sais que Hong Kong est considérée comme une des étapes du SailGP de la saison prochaine. Mais bien sûr, à ce niveau de compétition comparable à l’organisation d’un grand prix de F1, les discussions sont au niveau étatique, auxquelles nous apportons conseils. Mais ce dont je suis fier, c’est d’être impliqué dans notre propre défi pour la Youth America’s Cup– participer à  la compétition principale est difficile aujourd’hui pour nous – , mais développer une équipe de jeunes pour représenter Hong Kong et notre club est très stimulant. La Coupe est l’événement phare de notre sport. En tant que Suisse, j’en garde un souvenir très fort grâce à Alinghi. D’ailleurs c’est un sujet de blague perpétuel, au sein du club, avec les membres néo-Zélandais, mais aussi les Anglais qui ne l’ont toujours pas gagnée!

Comment s’est déroulé votre élection ?

C’est un travail sur plusieurs années. Le club est très actif, avec des membres très engagés. A chaque fois que nous avons une assemblée générale, plus de 350 personnes répondent présent. Nous organisons des courses chaque semaine. Nous avons une dizaine de catégories de bateau, une section d’aviron très active. Au niveau de la restauration, nous servons 20'000 couverts par mois, dans six restaurants et sur trois bases différentes. Une base principale sur la baie, une autre dans le sud à Middle Island avec tous les dériveurs, l’aviron et des J80, et une autre base au nord des nouveaux territoires avec les bateaux lestés de 35 à 75 pieds et des Dragons. Nous avons 300 employés. Il faut savoir mener de front ces différentes activités, sur des eaux tumultueuses, comme nous avons encore pu le constater récemment au niveau politique. Nous nous devons d’être responsable vis-à-vis des autres acteurs sociaux de la place. Nous ne sommes pas juste un club de gens privilégiés, nous nous devons d’être impliqué socialement. A titre d’exemple, nous avons récemment mis en place une fondation, pour financer et encourager des œuvres caritatives en lien avec les océans. Pour revenir à ma nomination, j’ai dû évidemment passer tous les grades inférieurs jusqu’à vice-commodore. J’ai eu la chance d’avoir été remarqué et encouragé. C’est peut-être ma grande gueule… ou mon rire !

Ce prestige est tout de même très utile pour vos réseaux…

Oui, c’est indéniable, mais ce n’est pas une motivation. Certes, je suis reconnu. Et je représenterai le club dans les cérémonies officielles, comme celle du souvenir le 11 novembre. Je serai très ému en pensant à mon grand-père anglais qui a fait la Grande Guerre. Mais ma motivation première est de rester un club de sport et non un «social club». Il n’y aura donc pas de promotions immobilières à la place de bateaux, comme d’autres peuvent l’entreprendre. Non, nous revendiquons un club de voile et d’aviron actif et sportif et intégré socialement !

De quel côté penche votre fierté, plutôt du côté suisse ou anglais?

(rire) Je dois dire, que ce qui m’a permis d’être là c’est probablement de parler un anglais courant sans accent, mais également, je l’espère, certaines habilités à régater à la barre de mon Etchell, la classe la plus compétitive du club !

Mais il est évident que ma fierté est celle de ce jeune homme membre du club de Lutry, qui se retrouve aujourd’hui commodore de l’un des plus beaux clubs du monde. Mais ils ne le savent pas encore à La Singerie!

Denis Martinet, à la barre de son Etchell (Takumi Images)

Comment est l’état d’esprit à Hong Kong aujourd’hui?

Hong Kong est une ville de contrastes, dans son architecture, sa société. A la fois aisée et précaire. Il est possible qu’avec le contexte politique, Hong Kong vive une émigration, déjà vécue d’ailleurs à la fin des années 1980, quand la Basic Law fut finalisée. Je pense que Hong Kong se développera pour devenir un grand Monaco, un peu à l’abri de ce qu’il se passe tous les jours en Chine. Et tant que la place financière de Hong Kong sera forte, le secteur du luxe restera également important. Il ne faut pas sous-estimer Hong Kong dans sa capacité à rebondir. Le contexte de la Greater Bay area représente 150 millions de personnes, ce n’est pas rien. Cela doit être une opportunité.

Votre force dans les affaires est d’ailleurs votre très large connaissance de l’Asie…

Certains diront que je suis un vieux routard de l’Asie (rire) J’ai effectivement développé au fil de ma carrière un réseau et une compréhension du marché du luxe en Asie. Il y a dans ce continent, une très grande approche du service haut de gamme et du luxe. Je l’ai rapidement compris dans le savoir-faire de l’accueil hôtelier. J’ai été très vite fasciné par ce raffinement. Et puis l’avantage avec Hong Kong, c’est que tout est possible. Il y a un vrai esprit entrepreneurial. Vous pouvez monter une affaire en très peu de temps et très facilement. C’est ainsi que j’ai moi-même établi en 2008 ma société MAD & Associates, jusqu’à atteindre la distribution de nombres de marques, tout en déployant notre représentation géographique, de l’Australie à l’Europe, en passant par la Chine où nous sommes probablement l'un des seuls acteurs indépendants à Shanghai. Cet esprit pionnier a toujours été une de nos forces !

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