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Simone Menezes: «Je veux insuffler davantage d’audace dans l’approche de la musique classique»

Le documentaire musical «METANOIA» soutenu par la maison Cartier dévoile le portrait de Simone Menezes, cheffe d’orchestre italo-brésilienne déterminée à décloisonner la tradition et à ouvrir la musique classique à des compositrices et à des compositeurs encore peu joués.

Simone Menezes a appris à imposer ses choix musicaux par sa passion, un grand défi surtout en tant que femme cheffe d'orchestre (DR)

Son intuition vibratoire des cultures, dans son rôle de direction d’orchestre, suscite un point de rencontre unique entre Simone Menezes et la musique. Cet instinct lui permet de créer une fluidité entre elle, l’orchestre et le public. Alors que pendant des années, la vision du chef d’orchestre a été dirigiste à l’image de Toscanini, elle est aujourd’hui plus ouverte. À ses yeux, Claudio Abbado a su, le premier, engager un dialogue avec les musiciens. Simone Menezes aime ressentir ce qu’ils ont à lui offrir, et ainsi rechercher le meilleur, vers une nouvelle voie de transmission de l’art. Son exigence la mène à découvrir la signature, la vibration, le rythme, l’accent d’un compositeur. Elle plonge inlassablement dans les archives, les histoires de vie, les amitiés, les fêlures, les influences qu’il a pu connaître pour en restituer le sel de sa création. Elle prend quelques fois des risques lorsqu’elle choisit de guider l’orchestre vers ces voyages musicaux singuliers. Si tous les ensembles, souvent culturellement entravés, ne sont pas prêts pour cette démarche, Simone Menezes, elle, a appris à diriger par l’écoute, à imposer ses choix musicaux grâce à la passion qui l’anime depuis l’enfance. Être cheffe d’orchestre n’était pas un métier facile d’accès dans son Brésil natal. L’exercer a été tout aussi ardu pendant les années qui ont suivi sa brillante formation à l’École Normale de Musique de Paris, car la profession était encore trop souvent réservée à la gent masculine. Aujourd’hui, elle peut exprimer ses visions grâce à son ensemble «K», une formation d’une quinzaine de jeunes et talentueux musiciens basée en France, qui l’accompagne depuis quatre ans. Simone Menezes est désormais demandée à l’international. Son approche fait depuis peu l’objet d’un film «METANOIA» soutenu par la maison Cartier, qui suit Simone Menezes dans ses conversations et propositions musicales. Projeté à Florence, à Rome et à Paris en mai dernier, il a su trouver un large écho. Il sera disponible en DVD dès le 2 septembre prochain. En prélude à sa découverte, Simone Menezes a offert une interview exclusive à Luxury Tribune.

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Pourquoi avoir choisi de devenir cheffe d’orchestre?

Alors que j’étais étudiante, à San Paolo, je regardais les orchestres jouer. Je trouvais que les musiciens interprétaient Tchaïkovski comme on joue Chostakovitch. Je n’avais qu’une envie, venir en Europe pour écouter la grande tradition de l’interprétation. Écouter Vivaldi à Venise, Debussy à Paris. J’ai eu la chance de travailler avec Paavo Järvi, grand chef d’orchestre estonien, lorsqu’il enregistrait les symphonies de Beethoven. J’ai énormément appris. Puis, j’ai compris que cette grande tradition européenne était réservée aux compositeurs du continent. À mes yeux, il fallait que les autres propositions, plus lointaines, à l’image du Brésilien Heitor Villa-Lobos, trouvent également leur interprétation, leur couleur, fassent l’objet de recherches musicologiques appropriées.

Ce classicisme vous frustre-t-il?

Simone Menezes exprime ses visions à travers son ensemble "K", un groupe de 15 jeunes musiciens talentueux basé en France (DR)

Oui, un peu. La nouvelle génération, à l’image des personnes qui suivent ma formation, compte une moyenne d’âge de 30 ans, est tout à fait perméable. C’est une génération confrontée à une compétitivité élevée, obligée de jouer du baroque ou du contemporain au conservatoire pour trouver une place dans un orchestre. À l’époque, au début du XXe siècle, Stravinski avait besoin d’une dizaine de répétitions avec l’orchestre pour jouer «L’Oiseau de Feu», car les musiciens n’avaient pas le même niveau qu’aujourd’hui. Pierre Boulez (et d’autres) ont alors eu l’idée de développer des ensembles spécifiques à des styles musicaux. Aujourd’hui, ce n’est plus nécessaire, bien que les stéréotypes demeurent. Tout comme celui d’être dirigé par une femme. Quelques orchestres refusent encore. La situation s’améliore, mais ce n’est pas gagné.

Comment définiriez-vous votre approche de la transcendance que vous abordez dans le film «METANOIA»?

Si l’on arrive, en tant qu’interprète, à trouver la même vibration que le compositeur, alors on peut espérer aller au-delà des notes, pour atteindre une certaine transcendance. Le compositeur a une intention, presque quantique, de dépasser les barrières du temps et de l’espace. Je vous donne un exemple: un jour, alors que nous étions en pleine pandémie, tous masqués et en grande répétition avec les musiciens, dans une salle avec baies vitrées donnant sur une cour remplie d’enfants en train de jouer, j’ai demandé à l’ensemble de recommencer, en mettant une intention forte de joie et de bonheur de jouer malgré la situation. Eh bien, à la fin du morceau, tous les enfants avaient collé leur visage à la fenêtre pour nous écouter jouer ! Tout est dans l’invisible, le ressenti de cette vibration de l’intention.

Le film «METANOIA» exprime cette intention. Qu’espérez-vous faire ressortir?

C’est une formidable opportunité de dialogue avec le public, car il est difficile de mettre des mots lorsqu’on veut exprimer la transcendance. Elle ne s’exprime pas concrètement avec les musiciens. J’essaie de construire une ambiance bienveillante, pour que nous déposions nos peurs et nos défenses. Cela implique de choisir avec qui l’on travaille. Il faut être prêt à débrancher le mental. C’est un luxe d’avoir un ensemble privé qui le permet. Avec l’ensemble «K», j’ai cherché à créer un laboratoire, pour créer des ouvertures, de nouvelles pistes musicales.

Le film METANOIA soutenu par Cartier suit Simone Menezes dans ses conversations et ses propositions musicales (DR)

Quelle a été votre plus belle expérience dans cette recherche de transcendance?

À la Philarmonique de Paris, avec l’orchestre de Rouen et de Normandie, lors de la présentation de la soirée consacrée à l’exposition Amazonia du photographe Sebastiao Salgado. Une proposition photographique très forte. J’ai souhaité que les musiciens regardent les images avant de jouer. Et le résultat a été mémorable. Ils ont joué de manière exceptionnelle. Nous avons tous ressenti cette transcendance. C’est une chance d’avoir le soutien de la maison Cartier qui reconnaît le rôle de l’artiste.

La notion de multiculturalité est-elle aussi une clé de compréhension?

Il est toujours intéressant de croiser les univers pour constater à quel point nous sommes proches les uns des autres. C’est aussi mon rôle, mon ambition. Choisir un répertoire qui me constitue et que je défends. J’aime jouer les femmes compositrices historiques à l’image de Louise Farrenc, Lili Boulanger, ou plus contemporaines, comme Lera Auerbach et bien sûr les compositeurs d’autres cultures comme Heitor Villa-Lobos. Faire connaître des répertoires méconnus permet aussi de faire tomber les peurs. J’aime proposer un projet qui mêle classique, néoclassique et contemporain.

Vous êtes également attentive à inciter les jeunes générations à écouter du classique…

Oui, c’est pour eux aussi que j’essaie de proposer des morceaux plus courts, de sept à huit minutes – le temps moyen de leur écoute – et de varier les styles, pour éviter l’ennui et favoriser la découverte. La musique classique est un trésor harmonique, mais ne représente pas aujourd’hui ce qu’elle est, car le traditionalisme – qui n’est pas la tradition – la ferme au monde. Je veux ouvrir. Et tenter des propositions, jouer, s’amuser. C’est aussi ça, la musique.

Que propose le film «METANOIA»?

Le film est une succession de musiques qui débouchent sur des conversations. Je ne souhaitais pas aborder cela comme une introspection ou un récit intérieur, mais comme une ouverture sur des mondes, des rencontres. Grâce à ce film, et aux échanges avec son réalisateur, j’ai appris à cadrer une idée. Car je n’ai jamais pensé à une construction de carrière. Ce que je sais, c’est que je veux la liberté de créer. Et insuffler davantage d’audace dans l’approche de la musique classique.

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