Mode

Quiet Luxury: l’éternel retour

Depuis avril dernier, le Quiet Luxury ou luxe silencieux, est largement commenté comme s’il s’agissait d’une nouvelle tendance. Or, elle n’a jamais cessé d’exister, réapparaissant à chaque crise financière mondiale.

Des silhouettes enveloppantes dans des teintes monochromes forment la nouvelle collection Hermès automne-hiver 2023 de Nadège Vanhée-Cybulski (Anthony Seklaoui - Hermès)

Le terme Quiet Luxury est apparu en avril, lors du procès qui opposait l’actrice Gwyneth Paltrow à un homme qui l’accusait de l’avoir blessée lors d’un accident de ski en 2016. Si les arguments de la défense et de l’accusation ont été commentés, ils l’ont été beaucoup moins que les tenues portées par l’actrice pendant la procédure. Celles-ci ont été analysées par la presse du monde entier, jusqu’au South China Morning Post qui s’ébaudissait dans son édition du 18 avril sur son simple pull à col roulé couleur crème à 1500 euros, signé du label The Row des sœurs Ashley et Mary-Kate Olsen.

La montre Parmigiani Tonda PF GMT Rattrapante, très sobre dans son esthétique, mais complexe dans son exécution (Parmigiani Fleurier)

Cette tendance, qui serait apparue sur les podiums ces dernières années, selon la presse spécialisée, n’en est pas vraiment une. Il s’agit d’un mouvement récurrent, qui suit les crises financières et les paniques boursières majeures. Le luxe ostentatoire est alors remisé – pour quelque temps –, de crainte d’essuyer de vives critiques publiques. Mais c’est aussi et surtout une simple habitude, chez les hyperriches, qui ne se sont jamais vêtus autrement. C’est ainsi qu’ils se reconnaissent, entre eux, fréquentent les mêmes tailleurs de Bond Street ou de Milan et, lorsqu’ils endossent du prêt-à-porter, il faut que ce soit discret. Les protagonistes de la série «Succession» sur HBO, le clan des Roy notamment, sont l’exemple type de la clientèle du Quiet Luxury.

Quand on évoque cette tendance avec Guido Terreni, le CEO de la marque horlogère la plus quiet luxury du moment, il rétorque que «cela a toujours été présent et c’est intéressant que la presse le découvre seulement aujourd’hui. George Brummell disait que «la véritable élégance consiste à ne pas se faire remarquer.» L’élite fortunée est intéressée par d’autres sujets que le prix des choses. C’est l’une des raisons pour laquelle je suis venu chez Parmigiani. Il y a deux ans, je sentais déjà un retour à ces valeurs profondes et éternelles, bien avant que cette tendance n’émerge.»

En 2008 déjà, la crise financière avait vu l’émergence du «No logo»

Sans remonter jusqu’au dandy Beau Brummell (ndlr: pionnier du dandysme britannique au début du XIXe siècle), on se souvient qu’en 2008, après la faillite de la banque américaine Lehman Brothers et la crise financière mondiale qui a suivi, les podiums s’étaient déjà faits discrets. La marque la plus désirable du moment était Céline, appartenant au groupe LVMH. Elle avait encore un élégant accent sur le «e» et ses collections étaient dessinées par Phoebe Philo, la styliste britannique très en vue qui s’apprête à lancer sa propre marque en septembre 2023. Éminent symbole du Quiet Luxury, Bottega Veneta, propriété du groupe Kering, régnait et règne encore sur ce monde du luxe discret grâce à une politique active du «No logo.»

La marque italienne Brunello Cucinelli est l'essence même du Quiet Luxury. Ici, la dernière collection eyewear ( Brunello Cucinelli)

Si un logo parle trop fort, le vrai luxe, lui, murmure. Des maisons comme Bottega Veneta, Akris, Loro Piana, Brunello Cucinelli, Loewe ou encore Hermès (hormis sous la direction artistique de Jean-Paul Gaultier de 2004 à 2010), ont toujours fait de la discrétion leur fonds de commerce. Ce qui compte, chez elles, c’est la coupe, impeccable, et surtout les matières: on s’attend toujours à trouver sur leurs portants les plus beaux cachemires, les cotons impeccables, les lainages précieux et les cuirs les plus somptueux.

En novembre 2022, la marque Gucci se séparait de son directeur artistique Alessandro Michele, qui avait créé un univers mode très flamboyant (Gucci)

Entre les crises de 2008 et de 2023, d’autres marques sont apparues, comme The Row, la marque des sœurs Olsen, très prisée par les adeptes du luxe silencieux. Afin de baisser le ton de Gucci, en novembre 2022, le groupe Kering a mis fin au contrat qui le liait à Alessandro Michele, l’homme qui, pendant sept ans, a métamorphosé la marque italienne avec sa mode flamboyante très «Luxury Circus». Mais l’heure n’est plus au cirque. Le créateur a été remplacé par Sabato de Sarno en janvier 2023. Passé par Prada, Dolce & Gabbana et Valentino, il est celui qui doit ramener de la discrétion chez Gucci. Ce que fait d’ailleurs Matthieu Blazy chez Bottega Veneta ou Nadège Vanhee-Cybulski, qui dirige la création du prêt-à-porter femme chez Hermès depuis 2014. Lors d’une interview donnée en 2016, elle confiait sa vision de la marque. Des propos qui pourraient être tenus aujourd’hui: «Pour moi, un travail doit être fait avec âme, avec amour. Je me suis dit que, chez Hermès, je pourrais trouver ce genre d’engagement, ce genre de travail consciencieux, cette intégrité. Je pense que c’était cela l’élément déclencheur: un partage de valeurs, l’idée qu’un objet est bien fait, non seulement parce qu’il a été fabriqué avec le meilleur cuir au monde, mais parce qu’il y existe une façon ancestrale de le faire, l’expertise d’une personne et surtout son plaisir à le faire.»

La Suisse, terre du luxe silencieux?

La coupe, la matière, les détails doivent faire la différence pour Bruno Grande, le cofondateur de la marque suisse KA/NOA, produite en Italie chez les meilleurs artisans du pays (KA/NOA)

La Suisse, qui n’est pas réputée pour son extravagance baroque, a une jolie carte à jouer sur l’échiquier du luxe discret, avec la marque Akris, très prisée par la princesse Charlène de Monaco, ou encore la très récente KA/NOA, lancée par Bruno Grande et son épouse Valérie, en septembre 2017. «Je voulais créer de beaux vêtements qui s’accordent et traversent les saisons. Ils sont sobres, mais ne passent jamais inaperçus: la coupe, la matière, les détails font la différence» explique le cofondateur qui a opté pour du «100% Made in Italy». Ses clients ont le sentiment d’appartenir à un club où l’on peut entamer une conversation autour de la forme d’un poignet ou d’un col de chemise. L’un d’eux n’est autre que l’acteur américain Patrick Dempsey. Bruno Grande l’a dépanné sur le tournage de la série «Devils», à Rome. «Il n’aimait pas les vêtements choisis par le costumier qu’il trouvait trop basiques pour le personnage de banquier influent qu’il incarnait. Il m’a demandé de venir, j’ai appelé un tailleur et on lui a fait trois costumes sur mesure en deux jours. Il était ravi.» L’acteur savait pertinemment qu’un homme d’influence porte un certain style de vêtements et que rares sont les marques qui connaissent les bons codes.

La marque Loro Piana est intransigeante sur la coupe et les matières (Loro Piana)

Les ultrariches n’ont jamais aimé arborer les signes extérieurs de richesse que sont les logos. Ils n’ont aucune envie qu’on les prenne pour des influenceurs porte-drapeau des marques qui les nourrissent. Le cas de Bernard Arnault, l’homme désormais le plus riche du monde, est paradoxal. Avec Louis Vuitton, qui fait partie de son portefeuille, il est l’empereur du logo. Or, lorsqu’on le croise aux défilés des marques qui appartiennent au groupe LVMH, on le voit généralement vêtu d’un costume foncé avec un pull à col roulé ou une chemise blanche fermée d’une cravate. Jamais on ne le voit porter des vêtements colorés dessinés par Kim Jones pour Dior Homme et il y a fort peu de chances qu’il arbore un jour l’une des pièces qui sortiront des ateliers dirigés désormais par Pharrell Williams, nommé directeur artistique de Louis Vuitton Homme en février dernier.

Une élégance très Ivy League

Chez Chanel, les teintes sont neutres; l’idéal étant d’adopter les couleurs favorites de Gabrielle Chanel: le noir, le blanc et le beige façon «sable mouillé de Deauville». Ici la collection Chanel Cruise 2023-24 (Chanel)

Le style Quiet Luxury évoque une élégance très Ivy League. La règle de base? Less is more. Pas de broderie ni de détail extravagant, pas de couleur criarde et avant tout, pas de logo. Une garde-robe qui se respecte doit comporter des pantalons en lainage léger, marine ou gris, des pulls à col roulé en cachemire, des chemises et des manteaux à la coupe parfaite taillés dans des tissus de qualité et des bottines qui racontent en silence des hivers à Gstaad ou à Saint-Moritz. Les teintes sont neutres, l’idéal étant d’adopter les couleurs favorites de Gabrielle Chanel: le noir, le blanc et le beige façon «sable mouillé de Deauville», nuance que lui avait conseillée le peintre Paul-Cesar Helleu. À cela, il faut ajouter le marine, bien sûr.

Les matières nobles se devinent au simple coup d'œil. Ici la dernière collection Hermès automne-hiver 2023 (Gaspar Ruiz Lindberg - Hermès)

Si l’on veut connaître les marques qui comptent, il est bon de suivre The Gstaad Guy, qui n’en est pas à un paradoxe près. Sur sa page Instagram, suivie par 342 000 personnes, il prône à la fois le Quiet Luxury et ses codes, tout en étant lui-même ambassadeur des marques qu’il vante dans ses sketchs à prendre au millième degré. Tout le vestiaire signé Loro Piana y passe, notamment les mocassins Summer Walk en cuir suédé avec leur semelle blanche. Il cite aussi parfois les baskets On Running, marque dans laquelle avait investi Roger Federer en 2019. Le champion de tennis est d’ailleurs lui aussi un fervent adepte du luxe discret, comme on a pu récemment l’observer lors du Met Gala qui s’est tenu à New York le 1er mai dernier: il portait un smoking Dior Homme à la coupe parfaite, au bras de son épouse Mirka en robe à plumes rose signée Valentino.

Les adeptes du Quiet Luxury portent des chaussures aux semelles noires ou blanches et laissent les semelles rouges aux autres, à tous les autres. Les ultrariches poussent parfois la folie vestimentaire jusqu’à arborer des couronnes en or serties de diamants pesant près de 2,5 kilos, mais c’est rarissime: le prince Charles ne se laissera aller à cette extravagance qu’une seule fois.

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