ModeGrand angle

Quel futur pour l’industrie de la mode?

Cécilia Pelloux

By Cécilia Pelloux12 juin 2020

Tous les créateurs et les professionnels de la mode le disent: le rythme des présentations de collections était devenu invivable. Ce constat, accéléré par la crise du Covid-19 marque le début d'une nouvelle ère dans le monde de la mode. L’initiative #Rewiring Fashion est un exemple à suivre.

La styliste grecque Mary Katrantzou avait choisi le Temple de Poséidon en Grèce pour son défilé Printemps-été 2020 (photo German Larkin)

La prochaine semaine de la mode en septembre est une équation à plusieurs variables. Il y aura la donnée économique – le marché vit une baisse des ventes vertigineuse -, idéologique – la composante environnementale pèse toujours plus lourd – et une variable sanitaire.  Quels seront alors les formats choisis par les marques?  Prendront-ils la forme d’un spectacle, d’un dîner, d’une présentation intime, des vidéos sur les plateformes et sites de médias sociaux ou simplement d’un beau lookbook?

Adam Lippes, créateur américain de la marque éponyme, joint par téléphone pour les besoins de notre enquête déclare: «Rien ne remplacera une présentation de collection en live, même si nous avons certainement beaucoup plus d'influence sur les médias sociaux que dans une salle. Et il faut distinguer deux choses, présenter notre travail à la presse et aux boutiques et le dévoiler aux consommateurs et ce sont deux aspects différents.»

Les fashion weeks, une manne financière qu’il sera difficile de retrouver

L'avenir sera probablement une combinaison de ces deux paramètres. Néanmoins, les défilés de mode représentent un énorme budget marketing pour les marques, les semaines de la mode générant des millions de dollars de revenus pour des villes comme New York. Un rapport de la New York City Economic Development Corporation note que la New York Fashion Week a généré près de 600 millions de dollars de revenus en 2019, incluant l'hôtellerie et toutes les industries de services qui l'entourent. La NYFW représente un revenu plus important que ses rivales de Londres, Paris et Milan réunies et a un impact économique plus important que le Super Bowl aux États-Unis.

Dans cette mouvance, un premier groupe de créateurs de mode, de dirigeants et de spécialistes du retail dirigé par Dries Van Noten, Lane Crawford et Andrew Keith, publiait le 12 mai dernier une lettre ouverte appelant à des changements fondamentaux pouvant impacter le calendrier actuel de la mode. Quelques jours plus tard, un second groupe de leaders de l'industrie de la mode se prononçait à son tour sur les besoins de refonte du secteur. Ce collectif, emmené par Imran Amed et Tim Blanks du média digital Business Of Fashion publiait le manifeste en ligne sur rewiringfashion.org. 

L'enseigne The Webster à Los Angeles fondée par Laure Hériard Dubreuil (DR)

Les créateurs de mode se parlent très rarement habituellement, mais là, il y a enfin une plateforme qui nous permet de partager des idées et nos problématiques, c’est capital en période de difficultés économiques

Adam Lippes, deisgner et fondateur de la marque éponyme

Interrogée sur la pertinence de ces deux actions, Laure Hériard Dubreuil, fondatrice de The Webster, magasin multimarques de luxe très chic qui exploite sept boutiques physiques aux États-Unis et une boutique en ligne explique: «Les deux initiatives se valent, même si la première a obtenu plus de signatures. Elles sont toutes les deux excellentes pour le secteur. Elles nous aident à unir nos forces, à partager nos idées et à avancer tous ensemble dans cette crise post-Covid.» Quant à savoir quelles conséquences cette pandémie a eu sur ses affaires, Laure Dubreuil poursuit: «De notre côté, ce que nous avons constaté dans cette crise, c'est que notre modèle de vente au détail avait été solide et précieux. Notre valeur fondamentale réside dans l’engagement, la communication constante et la proximité avec nos clients et ils nous ont vraiment aidés à traverser cette crise. Même si tous les magasins ont été fermés, nous avons communiqué étroitement avec eux. Toute mon équipe a travaillé à cela, ensemble, et lorsque nous avons ouvert le site à Houston, nous avons constaté des files d'attente dans la rue car les clients voulaient revenir, parler et voir des visages familiers.»

Les créateurs indépendants s’unissent

L’initiative #Rewiring Fashion a immédiatement impliqué une réforme du calendrier de la mode, une refonte des défilés de mode et l’établissement d’une réflexion commune sur le discount. La bonne surprise est que les créateurs de mode n'ont jamais été aussi ouverts et solidaires. Ils poursuivent le même objectif en réfléchissant profondément à la manière dont l'industrie doit être remise en question pour la rendre plus responsable et adaptée à l’époque. 

Les créations de Mary Katrantzou. La designer est signataire de l'initiative Rewiring Fashion (photo German Larkin)

Grâce à ce simple message envoyé sur la messagerie WhatsApp par Imran Amed et Tim Blanks, nous nous sommes sentis soudainement investis d’une mission

Mary Katrantzou, créatrice de mode

Également signataire de Rewiring Fashion, la styliste grecque Mary Katrantzou qui vit et travaille à Londres ajoute: «Depuis que j’ai commencé dans le métier il y a douze ans, je n’ai jamais ressenti cet élan de générosité. Nous expérimentons une réelle collaboration entre nous et un véritable sens de la camaraderie. Nous savions tous qu'un besoin de changement était imminent et je pense que cet échange enrichissant d'idées, tous ensemble, est le seul moyen pour nous, designers indépendants, de nous faire entendre.  Il était vraiment temps de revenir à l'essentiel, de faire moins de shows et de collections, de mieux créer. Ainsi, c’est aussi une manière de protéger la créativité et nous assurer qu'il n'y a pas de gaspillage inutile et que nous pouvons travailler de manière responsable. Grâce à ce simple message envoyé sur la messagerie WhatsApp par Imran Amed et Tim Blanks, nous nous sommes sentis soudainement investis d’une mission, moteur d’un possible changement pendant cette période difficile. Au début, les appels zoom réunissaient une trentaine de personnes et maintenant, la conférence téléphonique compte chaque semaine plus de 80 participants.» Également fan de cette initiative, le créateur Adam Lippes ajoute: «Les créateurs de mode se parlent très rarement habituellement, mais là, il y a enfin une plateforme qui nous permet de partager des idées et nos problématiques, c’est capital en période de difficultés économiques.»

Cette nouvelle ère semble figurer une nouvelle façon de créer pour les designers du monde entier. Pour preuve, la collection d’Adam Lippes. Initialement prévue en mai, sa collection «Resort» sera présentée en juillet.  Toute son équipe travaille actuellement sur des formats photos et vidéos, et à la création d’un bel ouvrage fait main comportant des échantillons. Il réalise également certains looks en miniature, comme des robes de poupée, afin de montrer les proportions des vêtements au magasin. Mary Katrantzou, elle, avait déjà décidé en interne, avant la crise, de ne montrer qu’une collection par an. D’ailleurs, elle avait déjà souhaité organiser un show qui reflète les valeurs de sa marque. Et c’est au temple du Cap Sounion, près d'Athènes en Grèce, que la créatrice grecque avait présenté sa collection printemps été 2020, en septembre dernier. Autre point fort, son défilé était destiné à collecter des fonds pour l'association caritative dédiée aux enfants Elpida, dont elle est la marraine. Elle explique: «Cela m’a permis de constater à quel point une équipe est plus motivée lorsqu'un spectacle a un objectif plus élevé.»

La durabilité est désormais clairement au centre du plan Rewiring Fashion. Adam Lippes poursuit: «Le mot durabilité est clé. Pour ma part, nous fabriquons des vêtements très raffinés, beaux, que les femmes ne veulent pas jeter, et pour moi, c'est la durabilité ultime.»

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