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Les deux visages de la jeunesse dorée chinoise

Fabio Bonavita

By Fabio Bonavita20 mai 2020

Les jeunes Chinois fortunés sont ultra connectés, avides de nouveautés et férus de produits bling-bling. Oui, mais pas seulement. Une nouvelle tribu en quête de sens, plus écologique et discrète, est en train d’émerger. De quoi déstabiliser les stratégies des grands groupes de luxe.

Au fil des années, la jeunesse dorée chinoise s’est complexifiée. Comme le précise Yuan Zou, directrice du développement mode et luxe en Europe de l’agence digitale Hylink: «Aujourd’hui, un jeune Chinois fortuné a davantage de pression financière. Sa définition du succès est différente, elle est toujours liée à l’argent, mais c’est beaucoup moins important. Ce qui prime c’est plutôt l’influence et la notoriété. La qualité et l’équilibre de vie sont ses premières priorités.» Cette jeunesse s’est aussi démultipliée. Une tendance amenée à se poursuivre d’après les prévisions du magazine de luxe chinois Jing Daily: «2020 s'annonce comme une année passionnante et imprévisible. La jeune génération continuera de perturber les acteurs du luxe établis, les forçant à changer leurs approches et leurs mentalités de plusieurs manières: de l'exclusif à l'inclusif, de la consommation aux loisirs, et du contrôlé à l'imprévisible. Cela va naturellement recalibrer la façon dont les marques de luxe abordent leurs stratégies pour la Chine, que ce soit en termes de marketing, au niveau des produits ou de la distribution.» Le décor est planté pour cette première génération à avoir connu la prospérité économique. Consciente de sa valeur, elle compte toujours plus d’entrepreneurs à la réussite fulgurante. Que ce soit dans l’immobilier, l’art, le commerce en ligne ou les nouvelles technologies. Certains d’entre eux n’hésitent pas à flamber. Quitte à oublier un instant la retenue prônée par le Parti communiste chinois.

En 2025, la Chine assurera 65% de la croissance de l’industrie du luxe. (Pixabay)

De l’ostentatoire

Patrick Fang est l’un d’eux. Agé de 27 ans, il habite à Tianjin, une grande ville portuaire au nord-est du pays. Sa réussite, il l’a doit à sa famille, mais surtout à son audace: «J’ai hérité de l’entreprise de métallurgie de mon père. En quelques années, j’ai réussi à quadrupler le chiffre d’affaires en prospectant de nouveaux marchés. Je ne suis pas encore millionnaire, mais cela ne saurait tarder.» Quand on lui pose des questions sur son mode de vie, ses mots se font plus rares: «Quand je parle d’argent, cela crispe certaines personnes. Mais je me lâche sur Instagram en publiant toutes mes aventures à travers le monde. J’adore voyager en business class et dévaliser les boutiques de luxe de Paris, New York ou Tokyo. Hors de mon pays, je suis très extravagant.» Sa dernière folie? L’achat d’un poney en vue de sa participation aux compétitions de polo sur neige. Mais sa plus grande fierté reste de s’être fait remarquer au défi «xuanfu tiaozhan», plus connu sous le hashtag #Fallingstarschallenge. Le but est simple: se faire photographier couché à plat ventre au milieu de produits de luxe éparpillés sur le sol. Le challenge est spécialement réussi si l’on devine à l’arrière-plan l’aile d’un jet privé ou le hublot d’un yacht. Les plus «modestes» optant pour la portière d’un bolide.

En quête de sens

La crise du coronavirus m’a forcément fait réfléchir à ce qui était essentiel pour moi

Patrick Fang, directeur d’une entreprise de métallurgie à Tianjin

Ce défi faisait littéralement fureur sur les réseaux sociaux, avant la crise du coronavirus, exacerbant le narcissisme d’une nouvelle bourgeoisie en quête de reconnaissance. Cette jeunesse-là biberonnée aux sessions de shopping décadentes et aux mélodies entêtantes des stars de la K-pop existe. Mais elle doit désormais cohabiter avec une autre tribu aux antipodes de la surconsommation. Olivia Lee en fait partie. Cette directrice marketing d’une pâtisserie de luxe à Hong Kong, le revendique: «Mon premier sac Louis Vuitton m’a été offert quand j’avais une vingtaine d’années. Depuis, j’ai accumulé des pièces de joaillerie de Chopard et Bulgari, mais aussi des sacs Chanel et Valentino. Au fil des années, en mûrissant, je me suis remise en question. Et j’en ai eu un peu marre de cette consommation frénétique. Je pense davantage à l’impact environnemental de mes achats. Aujourd’hui, je me tourne davantage vers des pièces réalisées artisanalement au sein de petites boutiques locales.»

Davantage sensibles aux discours des marques, aux problématiques environnementales et à une certaine quête de sens, ces consommateurs d’un nouveau genre sont aussi moins captifs. Une publicité mettant en scène une égérie ne suffit plus forcément à déclencher l’acte d’achat. Il leur en faut bien plus. Surtout après avoir vécu les risques sanitaires liés à la pandémie de coronavirus. Et c’est forcément déstabilisant pour les grandes marques. Selon le magazine Jing Daily, leur conscience écologique est en train de faire émerger un autre marché: celui de la location et de la revente de produits de luxe en Chine. Dopant ainsi la croissance globale du secteur dans l’Empire du Milieu selon l’étude «How young Chinese consumers are reshaping global luxury» du cabinet international McKinsey & Company: «Le segment du luxe reste robuste. Les jeunes consommateurs chinois sont plus intéressés par l’aspiration que par le patrimoine, ce qui oblige les marques à moderniser leurs histoires et à lancer des produits en édition limitée pour faire sentir aux jeunes consommateurs qu’ils sont des VIP. Cela inclut la promotion d'une atmosphère d'exclusivité à travers un calendrier annuel d'événements spéciaux, en particulier autour de l'art et de la mode, tout en offrant autant de possibilités d'interaction personnalisée entre la marque et le consommateur que possible.»

Luxe expérientiel

Cette nouvelle tribu à la consommation plus réfléchie explique aussi en partie le développement fulgurant du luxe expérientiel en Chine. Comme le confirme Olivia Lee: «Je préfère voyager plutôt que de m’acheter un sac, un bijou ou une paire de chaussures. Et quand je vais à Londres ou Paris, je ne m’aventure pas dans les boutiques car la file d’attente est souvent trop longue. Je passe, au contraire, du temps à découvrir la culture et les autres expériences disponibles dans la ville en m’offrant les services d’un guide privé qui me fera une visite hors des sentiers battus.» Patrick Fang ajoute: «Je ne suis pas encore un grand voyageur, mais je connais beaucoup d’amis qui se détachent petit à petit des produits. Ils n’ont qu’une envie, c’est découvrir les beautés de la planète. Ils préfèrent avoir de merveilleux souvenirs que des montagnes de fringues ou de montres dans leur maison. Personnellement, je reste encore très attaché au statut social et aux logos, mais je n’exclus pas un jour de faire comme eux. Je suis encore jeune donc je me laisse du temps pour être moins matérialiste. La crise du coronavirus m’a forcément fait réfléchir à ce qui était essentiel pour moi.»

Pas étonnant donc que les chiffres du tourisme chinois haut-de-gamme s’affolent. Selon une étude réalisée par HHtravel, les voyageurs chinois fortunés habitent principalement à l’est du pays, principalement à Pékin, Guangzhou et Shenzen. Ils dépensent en moyenne 18'000 euros par personne et par périple. Les 18-36 ans partent tous les trois à quatre mois à l’étranger et leurs destinations préférées sont l’Europe, la Corée du Sud et le Japon. Au vu de leur pouvoir d’achat considérable, les tribus de la jeunesse dorée chinoise s’apparentent à un défi majeur pour les acteurs du luxe. Yuan Zou conclut: «Un jeune Chinois fortuné de la génération Z est issu d'une famille à enfant unique. Ses parents sont souvent des entrepreneurs qui ont fait fortune récemment. Il a été éduqué dans des écoles privées internationales, donc il parle l'anglais.  Il a déjà beaucoup voyagé et connaît bien les marques de luxe.  Certaines, chinoises, sont aussi en train de décoller, je pense notamment à Bossini, Bosideng et Baleno.» Sans oublier Shiatzy Chen, Icicle, et Chow Tai Fook. Une nouvelle concurrence qui interpelle autant qu’elle inquiète les acteurs traditionnels du luxe… 

Doha attire les jeunes Chinois fortunés

Les récentes tensions politiques à Hong Kong ont fait émerger une nouvelle destination prisée par la jeunesse chinoise aisée. Il s’agit du Qatar, et plus précisément de sa capitale Doha. Selon les derniers chiffres disponibles concernant l’année 2018, 20'000 ressortissants chinois ont fait le voyage dans l’émirat. Soit une hausse de 68% par rapport à 2017. Cette croissance spectaculaire s’explique notamment par la décision des autorités de l’Empire du Milieu de classer le Qatar parmi les «destinations approuvées.» Ce qui s’apparente à une forme de garantie pour les touristes de se rendre dans un pays sûr. Pour les plus fortunés d’entre eux, Doha dispose de tous les atouts: des services de très haute qualité, des palaces flambant neuf et des malls luxueux. Sans oublier une culture islamique millénaire qui permet à la jeunesse dorée de vivre des expériences dépaysantes. Du Musée d’art islamique au Souq Waqif en passant par la baie de Doha ou la fauconnerie. Enfin, les facilités administratives dopent aussi l’arrivée des touristes fortunés. Aucun visa n’est demandé et les cartes de crédit China UnionPay sont acceptées dans la plupart des boutiques. Autant d’atouts qui devraient permettre un rebond rapide du tourisme de luxe après la crise du coronavirus.    

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