BusinessGrand angle

Le port du masque bouscule le marché de la beauté

Béatrice Peyrani

By Béatrice Peyrani14 décembre 2020

Covid oblige, la routine cosmétique des femmes se voit bouleversée: lèvres dissimulées, peau fragilisée, regard valorisé. Face à ces nouveaux besoins, les marques proposent des produits inédits et les clients plébiscitent vente en ligne et outils numériques.

900 mio

les tubes de rouge à lèvres vendus dans le monde chaque année avant Covid-19

-75%

les ventes de tubes de rouge à lèvres en avril 2020 en France

+74%

les ventes online de crèmes pour les mains en France au T1 2020

La consommation de cosmétiques s’est contractée de 37 % pendant le confinement en France, d’après l’estimation d’Asterès (Shutterstock)

Sur le stand Guerlain d’une grande surface suisse, Natalia Vodianova, cheveux aux vents, affiche sur les visuels de la marque un sourire aussi éclatant que le rouge de ses lèvres. Pourtant surprise, nulle présence de rouge à lèvres, sur les présentoirs. En ces temps de l’Avent, les célèbres KissKiss de la marque brillent étrangement par leur absence.

«Nous avons poussé nos rouges à lèvres à l’arrière-plan», reconnaît la responsable de la marque. A leur place, trône en majesté un nouveau duo: le «Gel Hygiène & Douceur des Mains, hydratant au concentré de miels», et un «Baume Réparateur Jeunesse Des Mains». «Ils marchent très bien. Le gel est tellement demandé que nous sommes en rupture de stock, nous attendons le réassort dans les trois jours.» Qui aurait imaginé, un an plus tôt, qu’une crème et un gel pour les mains au miel d’Ouessant et à la fragrance certes signée du nez de la Maison se taillent la vedette dans ce grand magasin helvétique? En France, sur le marché sélectif, Chanel, la Prairie, Dior, Sisley entre autres, ont connu une explosion de leurs ventes de crème pour les mains sur le net, jusqu’à 74% pour le premier semestre, alors que les ventes de rouge à lèvres ont baissé de 75% pour le seul mois d’avril en France (étude Asterès).

Avant la pandémie et le port du masque, il se vendait dans le monde 27 tubes de rouge à lèvres chaque seconde (Shutterstock)

Une caméra pour tester chez soi

Campagne Nars pour son mascara Climax Extreme (DR)

«Force est de constater que le rouge à lèvres n’est pas l’achat phare du moment, confirme-t-on sur le stand Armani un peu plus loin. Bien sûr, nous conseillons à nos clientes de toujours bien hydrater leurs lèvres avec un baume, même sous leur masque. Les femmes nous demandent surtout des produits spectaculaires pour le regard. Elles ont besoin de mettre en valeur ce qu’elles n’ont pas à cacher. Elles veulent des mascaras performants ou des ombres à paupières.» Des produits que les plus indécises peuvent essayer virtuellement chez elles, grâce à une caméra en ligne sur le site Armani qui leur retourne leur visage maquillé avec les ombres de la couleur choisie.

Sur le comptoir Clarins, plutôt que sur le maquillage, on se focalise sur le corps.  Pas de mot Covid-19 dans le texte, pour autant le port du masque n’est pas occulté. «Il est nécessaire pour notre sécurité…mais nous pose des problèmes et vous ?», explique Clarins. Porté durant plusieurs heures, il agresse la peau. D’où les conseils de la marque d’utiliser ses crèmes et sérums.

Continuer à faire rêver malgré la pandémie.

Enrichies du nouveau Multipeptide de Platine et du Complexe Cellulaire Exclusif, les soins de la Collection Platinum Rare Haute Rejuvenation de La Prairie viennent d'être lancés sur le marché mondial (DR)

L’intérêt pour le maquillage reste important, «même si en période de semi-confinement, les femmes passent un peu moins de temps à se maquiller, le make-up demeure le sujet le plus discuté sur les réseaux sociaux», reconnait un porte-parole de L’Oréal Suisse. Mais la couleur et les tendances à suivre ne sont plus les premiers sujets de préoccupation. Depuis la pandémie, «les consommatrices s’interrogent plutôt sur les moyens d’adapter leur maquillage aux contraintes sanitaires ou de remédier aux désagréments induits par la superposition du masque et des produits, poursuit le service presse de la filiale suisse de L’Oréal. Il y a aussi plus d’échanges sur l’expression de la personnalité et du look, et les moyens d’y parvenir.»

Depuis la pandémie, les femmes veulent intensifier leur regard. Comme pour continuer de sourire… avec les yeux.  Résultat: les ventes mondiales, principalement digitales, se sont reportées sur  les mascaras, eyes liners et crayons à sourcils. Des ajustements provisoires? «Si certaines catégories de produits ont le vent en poupe, nous ne pensons pas que le make-up sera repensé à plus long terme. Il reviendra en force dès que les masques tomberont», assure L’Oréal Suisse. Mais reste à savoir si tous les continents et toutes les générations partageront cette envie de retour à la sophistication.

Cinq questions à Mathieu Arsac, Operational Marketing Director Suisse du groupe Shiseido

Quel a été l’impact de la Covid-19 sur le marché de la beauté en Suisse?

Comme dans la plupart des pays du monde, la pandémie a dopé les ventes de produits de soin. Les Suissesses ont voulu prendre du temps pour se faire du bien, en cette période anxiogène. Ainsi, elles ont acheté plus de crèmes de soin premium pour leur visage, plus de produits pour le corps ou plus de masques pour leur chevelure. A l’inverse, les produits de maquillage, les rouges à lèvres et les gloss ont été très pénalisés depuis le semi-confinement. En Suisse, les ventes de make-up sont en baisse 30% en moyenne sur les dix premiers mois de l’année.

Pourquoi une telle désaffection pour le maquillage?

Évidemment le port du masque, le confinement, la mise entre parenthèses des relations sociales ne jouent pas en sa faveur. De plus, quand les femmes télétravaillent, beaucoup d’entre elles considèrent que les images étant plus ou moins floutées, elles ont besoin d’utiliser moins de fond de teint ou de crème teintée que lorsqu’elles vont au bureau. Enfin, la venue de maquilleurs dans les magasins était jusqu’à présent le moyen le plus efficace de déclencher l’achat. La crise sanitaire a bien sûr stoppé net ces démonstrations en magasins et …leurs ventes!

Avez-vous trouvé une parade?

Nous avons organisé, en live, plusieurs Masters Classes de séances de maquillage sur les réseaux sociaux comme Instagram. Et nous allons, dans les prochains mois, développer de nouvelles techniques d’essais à distance grâce à des outils numériques en collaboration ou non avec des plateformes de vente de nos distributeurs. A Genève, sur le stand Nars de Globus nous proposons déjà à nos clientes de tester leur maquillage via un logiciel sur un Ipad, il est certain que ce type d’expérience mêlant virtuel et réel vont s’intensifier ces prochains mois.

Y a-t-il eu, malgré tout, une bonne surprise cette année?

La progression des ventes en ligne est une bonne surprise. En Suisse, dans la beauté sélective, les ventes digitales ont progressé de 80%. Bien sûr, les ventes qui n’ont pas pu être faites lors de la fermeture des magasins n’ont pas pu être reportées à 100% sur le web, mais cela signifie que les deux canaux seront à l’avenir de plus en plus complémentaires. 

Pensez-vous que l’épidémie, une fois maîtrisée, redessinera le marché de la beauté?

Oui certainement. Je ne m’attends pas à un bouleversement total, mais je suis convaincu que le boom du soin va continuer. Il est fort probable que face à une certaine anxiété qui risque de durer, les consommateurs auront envie de faire mieux avec moins et privilégieront des produits de soins qualitatifs sans céder à la nouveauté pour la nouveauté. De plus il est certain qu’ils continueront à acheter en ligne et voudront davantage d’expériences virtuelles, car ils y ont pris goût.

La marque bareMinerals créée en 1995 est connue pour ses produits sans parabènes, phtalates ni formaldéhyde, entre autres. ici Hailey Bieber, l'ambassadrice de la marque (DR)

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