BusinessGrand angle

Le luxe entre dans un cycle de consolidation

Fabio Bonavita

By Fabio Bonavita24 août 2020

Déjà attrayante pour les investisseurs avant la crise du Covid-19, l’industrie du luxe s’apprête à vivre un boom des fusions-acquisitions. Les petites maisons indépendantes sont concernées, mais aussi les marques à la renommée mondiale.

Quand on lui demande si la crise du coronavirus va provoquer une période de consolidation dans le secteur du luxe, Arthur Jurus, chef économiste de la banque Landolt&Cie, n’hésite pas une seule seconde: «Oui, les conditions pour une nouvelle phase de concentration dans le luxe sont réunies. Le secteur connaitra une baisse de 30% de ses ventes en 2020 et l’activité ne retrouvera pas son niveau d’activité pré-Covid avant 2022. Or, plus de la moitié des entreprises du secteur ne sont pas suffisamment rentables. Les entreprises leaders disposeront donc de multiples opportunités de croissance externe au cours des prochains mois.» Une position nuancée par John Plassard, directeur adjoint de la banque Mirabaud & Cie: «Ce n’est pas le Covid qui fait souffrir le secteur du luxe, mais trois évènements bien précis: la baisse de la croissance chinoise, les évènements à Hong-Kong et finalement la pandémie de coronavirus. La phase de consolidation à laquelle nous assistons déjà depuis près d’un an va ainsi se poursuivre.»

En 2018, Michael Kors achetait Versace pour 1,83 milliard d’euros. (Shutterstock)

Record de fusions et acquisitions

Estimé à plus de 16 milliards de dollars, le rachat de Tiffany par LVMH reste la plus importante acquisition du groupe de Bernard Arnault. (Shutterstock)

Dans son dernier rapport «Global Fashion & Luxury Private Equity and Investors Survey 2020», le cabinet Deloitte confirme qu’un nombre record de 271 fusions et acquisitions ont été réalisées l’an dernier dans le secteur. Et Elio Milantoni, partenaire de Deloitte, de préciser dans un communiqué: «Même en cette année difficile, l’industrie du luxe reste un terrain fertile pour les investisseurs. Après la pandémie, 70% des fonds continueront à investir dans le marché du luxe, notamment dans les secteurs de l’habillement et des accessoires, des cosmétiques et des parfums et du luxe numérique. C’est dans ce dernier, en particulier, que de bonnes opportunités d’investissement existeront en 2020.»

Le groupe Kering s’intéresse toujours plus à Moncler. (Shutterstock)

Les maisons indépendantes plus exposées

Le contexte actuel est désormais très favorable aux acquéreurs qui peuvent racheter à prix cassés des entreprises au bord de la faillite

Arthur Jurus, chef économiste de la banque privée Landolt&Cie

Après le rachat de Versace par Michael Kors en 2018, celui de Tiffany par LVMH, l’agence de presse Bloomerg a affirmé au cours de cet été que le groupe Kering s’intéressait de près à Moncler dont la valeur boursière dépasse les 10 milliards de dollars. Pour Arthur Jurus, cette consolidation n’en est qu’à ses débuts: «Plus de la moitié des revenus sont déjà concentrés sur les dix leaders mondiaux. Cette rente de situation va accroître après la phase de consolidation. Les cibles d’acquisition seront les mono-marques, mais aussi les entreprises capables d’aider les plus grosses entreprises à renforcer leur stratégie omnicanal pour développer les ventes en magasins physiques et en ligne.»

Après la pandémie, 70% des fonds continueront à investir dans le marché du luxe, notamment dans les secteurs de l’habillement et des accessoires, des cosmétiques et des parfums et du luxe numérique

Elio Milantoni, partenaire de Deloitte

Avant d’ajouter: «Les petites maisons indépendantes sans liquidité, incapable d’investir, peu exposées aux ventes en Chine et ne disposant pas de leur propre canaux de distribution seront les plus vulnérables. L’absence de trésorerie pendant deux mois ne leur laisse aujourd’hui que peu de marges de manœuvre. Pour ceux exposés à ce risque bilanciel, une reprise forte de la demande au troisième trimestre semble être la dernière solution. Mais la faible évolution du trafic aérien, encore 60% inférieure à son niveau pré-COVID, n’incite pas à l’optimisme concernant l’évolution des ventes. Le contexte actuel est désormais très favorable aux acquéreurs qui peuvent racheter à prix cassés des entreprises au bord de la faillite.»

Perte de créativité

En 2019, 271 fusions et acquisitions ont été réalisées dans le luxe. (Shutterstock)

Pour les grands groupes, LVMH, Kering et Richemont en tête, accumuler les marques peut représenter des économies de coûts substantielles. Surtout en cette période qui voit la valeur de nombreuses maisons chuter. La tentation est donc grande comme le confirme John Plassard: «De plus en plus de groupes vont tenter de faire main basse sur les pépites du secteur afin de se diversifier. En fonction de la durée de la crise, le chant des sirènes va être de plus en plus important. Certaines petites entreprises pourraient bien y succomber si leur chiffre d’affaire ne devait pas progresser et leurs charges augmenter.» Avant de mettre en garde: «Une phase de consolidation importante du fait d’une crise qui perdure pourrait réduire le nombre d’acteurs indépendants et de facto appauvrir la créativité. Dans un cas extrême on pourrait ainsi assister à une uniformisation du secteur du luxe avec très peu de nouveauté et surtout du «recyclage».»

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