Style & Évasion

«La musique européenne reflète une façon d’être ensemble»

Jack Savoretti, auteur, compositeur et interprète anglais au succès planétaire depuis son album Singing To Strangers, raconte la portée symbolique de son dernier opus Europiana, son rêve musical, classé aujourd’hui en tête des charts au Royaume-Uni.

Jack Savoretti vient de sortir son nouvel album Europiana, classé en tête de charts au Royaume-Uni (Giulia Rosatelli)

Si le «made in Italy» est souvent mentionné, on parle peu du «made in Europe». L’artiste-musicien Jack Savoretti, citoyen européen au sens propre du terme, y est parvenu. Né à Londres, élevé en Italie, il vient de terminer son nouvel album intitulé Europiana (EMI Records/Polydor X Universal Music), classé en tête des charts au Royaume-Uni. La confirmation d’un talent hors norme, déjà reconnu lors de son précédent album Singing to strangers sorti en 2019. Mais c’est avec Europiana et ses onze titres enregistrés dans les célèbres studios d’Abbey Road, que Jack Savoretti livre ses réflexions les plus intimes sur les formes d’espoir qu’il cultive, sa conception du vivre ensemble, sa nostalgie d’une enfance passée sur les bords de la Méditerranée. Il nous livre, dans un entretien exclusif, ce qui motive son élan vers ce qu’il nomme la musique européenne.

Vous avez marqué les esprits de tous en créant et en enregistrant, en plein confinement, le titre Everything will be fine, en direct sur Instagram, avec vos fans. Cette chanson nous a accompagnés pendant les mois les plus durs de 2020. Vous avez cette capacité à rassembler. Est-ce votre esprit européen qui anime cette énergie?

Mes origines sont multiples. Mon père est italien, ma mère est anglaise avec des racines allemandes, juives, autrichiennes et polonaises. J’ai vécu en Suisse, en Italie, je me sens 100% européen. Maintenant, si l’on passe des racines intimes à la musique, ce que l’on peut appeler la musique européenne a ses propres caractéristiques. C’est un genre différent de la musique américaine, fondée sur la liberté et souvent accompagnée d’un message politique. En Europe, c’est différent. La musique reflète une façon d’être ensemble, de célébrer, de se souvenir. Elle est définie par trois piliers: la mélodie, la nostalgie et le désir de raconter une histoire. C’est ce qui la rend unique. Quant à l’inspiration, lorsque l’on se tourne vers l’Amérique, c’est pour y trouver le blues, le rock, le jazz, le funk, le disco. Mais ce qui sous-tend la musique européenne est différent. Elle porte des valeurs d’inclusion, de culture, d’union. Pourtant, elle est souvent restée dans l’ombre de la musique américaine, peu comprise. Elle va de Mina, à Patty Pravo et même jusqu’à Julio Iglesias ou les Gipsy Kings! J’ai voulu donner un nom à ce genre de musique, et Europiana est né, un mot que j’ai inventé.

Vous avez qualifié cet album de voyage plein d’espoir, pourquoi?

C’est ce dont j’avais besoin quand je l’ai écrit, et ça commence par l’espoir. En Europe, ces dernières années, les discours qui divisent sont devenus majoritaires. Des discours qui ont tendance à exclure. Je voulais prendre le contrepied de cela, raconter comment nous sommes semblables. Je m’imaginais ceux qui avaient voté en faveur du Brexit en Angleterre, célébrer des fêtes et des mariages sur de la musique d’Abba ou des Gipsy Kings… finalement, la musique est faite pour faire la fête et rassembler. J’ai toujours admiré ceux qui veulent unir les gens et non les séparer. Je me sens un enfant de l’Europe. Plus je voyage, plus je suis étonné par ce que l’Europe a réussi à faire. Il y a une paix qui n’existe pas dans d’autres parties du monde. Alors, le Brexit a été difficile à vivre…

Étiez-vous en Angleterre lorsque vous avez écrit cet album?

Oui, dans ma maison en Angleterre. J’ai terminé l’album avec la chanson War of Words, que je dédie à mes enfants. Le premier son de l’album commence par la voix de ma femme et se termine avec celles de mon fils et de ma fille. Ils sont les piliers de cette bande-son, pensée comme un voyage que nous n’avons pas pu faire en raison du confinement. Un voyage vers les endroits que j’affectionne le plus, vers les plus belles musiques liées à mes meilleurs souvenirs, à l’enfance. Tout cela m’a porté vers la Méditerranée et à Portofino. C’est là que j’ai été baptisé, dans l’église Divo Martino. J’y ai passé les étés de mon enfance, j’y ai écouté mes premières musiques, au bar Scafandro, aujourd’hui le Portofino Bistrot, en compagnie du barman Mauro qui me faisait écouter ses cassettes; il a été mon premier professeur de musique. 

La musique aide-t-elle dans les moments difficiles?

Je pense que la première chose qu’elle peut offrir, c’est de l’espoir. La musique vous connecte aux gens, à quelque chose de plus grand. La musique vous fait réfléchir, vous calme, vous fait voyager dans le temps, vous aide à vous souvenir et à regarder le passé pour mieux comprendre comment aller de l’avant. Je n’ai pas beaucoup d’imagination. J’écris sur ce que j’ai vu et vécu. Mon fonctionnement créatif s’assimile plus au photoreporter qu’au romancier. Je pense comme un journaliste. J’aime raconter les états d’âme, la tristesse, l’amour, la mélancolie.

Comment avez-vous vécu cette pandémie?

De bien des façons. Avec des peurs, bien sûr, tout en essayant de faire de la musique qui puisse résonner positivement en ces temps difficiles. Mon père me racontait que les Italiens, dans les premières semaines de la pandémie en 2020, se sont sentis abandonnés, très seuls. Il m’a alors suggéré de faire quelque chose pour mes fans, de ne pas les abandonner. J’ai donc eu l’idée d’écrire avec eux cette chanson sur Instagram, en direct. Elle est née en seulement deux jours.

Jack Savoretti lors de son concert "One night in Portofino", le 4 septembre 2020, sur la place du port de Portofino, en Italie (Giulia Rosatelli)

Vous êtes passé de la guitare au piano sur cet album. Pourquoi?

Je ne sais pas exactement pourquoi. Parfois dans la vie, on enlève ses baskets et on met une belle paire de chaussures en cuir. Pour moi la guitare représente cette facilité, alors que le piano c’est comme enfiler une veste, ça fait de vous une autre personne. Cette année, je me suis consacré au piano, pour m’améliorer, pour le pratiquer, mais je ne me considère pas musicien, je ne connais pas la gamme. J’utilise la musique pour m’exprimer, pour travailler.

Quel est votre prochain grand rendez-vous?

Il est très difficile d’organiser une tournée en ce moment. Nous le ferons en 2022, en commençant par Milan, puis d’autres villes italiennes, dont Gênes bien sûr, et enfin l’Europe et de nombreuses dates au Royaume-Uni. Nous allons certainement beaucoup improviser en fonction du moment…  

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