Gen Z et luxe, ou pourquoi la «dupe culture» se renforce
By Justine Offredi01 juillet 2025
Alors que les prix du luxe atteignent des sommets et que les récentes polémiques sur TikTok autour de la confection des produits haut de gamme en Chine ont ébranlé le mythe du savoir-faire d’exception des marques, la «dupe culture» ne fait que se renforcer auprès de la jeune génération. Dans cette deuxième partie, la génération Z prend la parole.
70%
Part de la Gen Z qui achète régulièrement des "dupes"
123.5%
Augmentation des recherches en ligne en un an pour "dupe + skin care" entre 2022 et 2023
2030
D'ici-là, la Gen Z devrait représenter 30% des achats de luxe
Notre génération est constamment à la recherche du bon plan, les dupes sont de plus en plus intégrés et normalisés entre nous
Louana, étudiante à Paris et passionnée de mode
Depuis la fin de la pandémie, le pricing power, c’est-à-dire la capacité des maisons à imposer des hausses tarifaires, s’est accentué dans l’industrie du luxe. À mesure que les prix ont augmenté, les alternatives à «bas prix» se sont multipliées, notamment sur internet. Un phénomène qui a contribué à l’essor d’un nouveau comportement de consommation chez les jeunes générations: l’achat de dupes (contraction du mot duplicata, ndlr).
En 2023, une enquête de Google de NielsenIQ a révélé que les recherches en ligne aux États-Unis pour «dupe + skin care» ont augmenté de 123,5% en un an et celles pour «dupe + make-up» de 31% entre 2022 et 2023.
Ces produits qui s’inspirent des codes du luxe, tout en évitant de franchir la ligne rouge de la contrefaçon, séduisent particulièrement la génération Z (née entre la fin des années 90 et le début des années 2010), qui devrait représenter près de 30% des achats de luxe d’ici à 2030. Selon un sondage mené par Business Insider et YouGoven 2023, 70% des sondés de la GenZ ont déclaré avoir «parfois ou très régulièrement» acheté des imitations l’an passé. Influencés majoritairement par les réseaux sociaux comme TikTok, où le hashtag #dupe cumule plus de 6 milliards de vues, ces jeunes consommateurs revendiquent fièrement leurs trouvailles. Ces achats sont-ils toujours faits en conscience? Où se situe réellement la frontière entre dupe et simple tendance de mode?
De contrefaçon à dupe
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Pour Louana, 24 ans, étudiante à Paris et passionnée de mode, le choix du dupe est pleinement assumé: «Si j’achète un dupe, c’est toujours en connaissance de cause et je l’assume. Je choisis cependant des produits de qualité, dans lesquels je mets un certain prix. Par exemple, j’ai récemment acheté une paire de ballerines inspirée d’un modèle iconique d’une grande maison pour 270 euros alors que l’authentique coûte trois fois plus.»
Pourtant, au fil de la conversation, la question de la différence entre un dupe et une simple tendance de mode se pose. Pour Alain Quemin, professeur de sociologie spécialisé dans l’art et le luxe à l’Université de Paris 8, cette ambiguïté est révélatrice: «Nous ne savons plus qui se fait duper: le consommateur lui-même ou son entourage. L’acheteur, lui, ne parvient plus à distinguer clairement une tendance, d’un dupe ou d’une contrefaçon.»


La jeune génération semble se réfugier derrière ce nouveau terme, qui, au fond, ne serait qu’une version euphémisée d’une pratique ancienne: la contrefaçon. Aux États-Unis, des grands noms comme Walmart et Glade utilisent ce terme pour décrire leurs produits. Les influenceurs se spécialisent dans les dupes et deviennent des vrais investigateurs en publiant des vidéos virales sur TikTok tandis que des acheteurs avisés créent des communautés dédiées au dupe sur Reddit (+50% de création de communautés axées sur les dupes, incluant r/fashionreps, r/reptime, r/replika, and r/designerreps parmi tant d’autres, entre 2022 et 2023).
Les bijoux sont pour moi des objets intemporels. Je préfère payer le prix fort pour l’authenticité de la marque
Louana, étudiante à Paris et passionnée de mode
«C’est une façon de rejeter le jugement moral», détaille Alain Quemin. Mais cela va encore plus loin. Pour Louana, trouver une alternative à un produit qu’elle juge trop cher est une forme de satisfaction. «Notre génération est constamment à la recherche du bon plan, les dupes sont de plus en plus intégrés et normalisés entre nous, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’une marque qui est déjà bradée dans les outlets ou sur des plateformes comme Arlettie ou The Bradery. Inconsciemment, leur valeur perçue baisse.»
A contrario, lorsqu’il s’agit de pièces de luxe emblématiques, comme un bijou Cartier, l’étudiante parisienne se montre bien plus réticente à l’idée d’acheter un dupe. «Je ne serais pas à l’aise avec le regard des autres, car ce serait trop évident que l’objet est un dupe ou même une contrefaçon. Dans ce cas-là, je préfère payer le prix fort pour l’authenticité de la marque. Les bijoux sont pour moi des objets intemporels, qui se transmettent de génération en génération. J’aurais plus de mal à payer le prix fort pour des chaussures, des vêtements ou des accessoires qui se détériorent plus vite.»
Cette distinction souligne un enjeu central dans le rapport de la génération Z au luxe: la valeur perçue liée au statut social qu’évoque un objet ne repose pas uniquement sur la marque, mais aussi sur sa durabilité, sa visibilité et son potentiel symbolique. Si certains produits peuvent être substitués sans trop de risques, d’autres, en particulier ceux qui incarnent un héritage ou un statut, restent intimement liés à leur authenticité perçue – et donc à leur légitimité dans l’œil de cette génération.
Entre montée des prix et légitimité
Lorsqu’une marque de luxe vend un produit avec un coefficient multiplicateur de 30, elle ne peut s’étonner qu’il soit facilement reproduit, pour un prix bien plus bas
professeur de sociologie spécialisé dans l’art et le luxe à l’Université de Paris 8
À l’heure où les pratiques des grandes maisons – telles que les conditions de travail, la délocalisation de la production ou encore la destruction des invendus – sont de plus en plus contestées, la légitimité du prix fort est sérieusement remise en question.
Des polémiques comme celle visant Moncler l’année passée – accusée de vendre ses doudounes à un prix jusqu’à trente fois supérieur à leur coût de production, tout en exploitant le duvet d’oies vivantes – ou encore la viralité de vidéos TikTok dénonçant les méthodes de fabrication en Chine de certaines griffes de luxe, remettent en cause l’image d’un savoir-faire d’exception. «Ce sont précisément ce genre de révélations au grand jour qui dévalorisent les produits de luxe et dissuadent les consommateurs de payer le prix fort», explique Alain Quemin. «Lorsqu’une marque de luxe vend un produit avec un coefficient multiplicateur de 30, elle ne peut s’étonner qu’il soit facilement reproduit, pour un prix bien plus bas. C’est ici toute la légitimité de ces marges qui est remise en question.»
«La baisse de qualité nous pousse à acheter des dupes. Depuis que j’ai découvert certaines méthodes de fabrication utilisées par des marques, j’ai été refroidie», confie Louana. «Chez certaines marques, les prix grimpent sans que la qualité suive pour autant. Dans ces conditions, acheter du neuf me semble difficile, je préfère me tourner vers le vintage». De son côté, le professeur analyse: «On en vient à se demander si la qualité de l’hyperluxe est intrinsèquement supérieure à celle du luxe accessible. Le phénomène des dupes vient remettre en cause les codes du luxe, tandis que les marques s’accrochent tant bien que mal à leur image pour conserver leur légitimité.»
Dans le cas d’un dupe, si la qualité est bonne et le prix adéquat, c’est un achat dont je serais entièrement satisfaite
Louana, étudiante à Paris et passionnée de mode
Faut-il devenir inaccessible pour rester légitime ? Pas aux yeux de la génération Z, c’est certain. Les marques premium et haut de gamme, souvent plus abordables, gagnent du terrain en proposant des produits similaires, sans sacrifier la qualité pour autant. «Dans le cas d’un dupe, si la qualité est bonne et le prix adéquat, c’est un achat dont je serais entièrement satisfaite», explique Louana. Née avec la fast fashion des années 90, cette génération a grandi avec l’idée que le luxe «moins cher» pouvait se trouver un peu partout. Aujourd’hui, elle franchit une étape ultérieure. «Avec l’essor d’internet, il est beaucoup plus facile d’accéder à ces articles, avec une expérience d’achat qui est finalement semblable à celle du luxe», souligne le professeur Alain Quemin. «On est loin de l’achat de contrefaçon auprès d’un vendeur à la sauvette de l’époque.»
Au fond, cette quête du «superdupe» s’apparente aussi à une forme de résistance. «Il y a une réaction claire de la génération Z face à l’exclusion sociale que le luxe a longtemps incarnée. Elle cherche à adopter les codes du luxe, sans en payer le prix symbolique», conclut-il.


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