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Entre art, mode et architecture, le Maroc renoue avec son africanité

Samia Tawil

By Samia Tawil06 octobre 2022

Depuis une dizaine d’années, le Maroc semble se reconnecter à son africanité; une démarche libératrice dont l’art se fait le premier étendard.

Alo Wala, extrait de sa série photographique « My Rockstars», par Hassan Hajjaj, 2015 (DR)

Dans un contexte d’expansion économique qui s’intensifie depuis 2016, le Maroc se tourne de plus en plus vers ses voisins d’Afrique de l’Ouest, dans une perspective de cohésion transsaharienne. Les travaux de construction d’une voie express reliant le nord du Maroc à l’Afrique de l’Ouest, couplés aux titanesques projets à la frontière sud - dont une zone industrialo-logistique West Africa de 1650 hectares - viennent confirmer cette tendance.

Faut-il y voir une démarche purement stratégique? Bien que le roi Mohammed VI poursuive l’ambition certaine de renforcer l’écosystème industriel du royaume par cette régionalisation, une co-émergence s’ensuit, quoi qu’il en soit. Il s’agirait alors plutôt de décrypter, dans la symbolique de cette expansion, une manière de transcender les conséquences d’une histoire lourde, prise en étau entre colonialisme et identités fracturées. Or, celle du Maroc est hybride et fondamentalement africaine, de ses premiers habitants berbères à son héritage gnaoua – culture issue de l’esclavage transsaharien du Ghana et de Guinée vers le Maghreb –. En son sein, les dialectes Bambara et injonctions soufies font corps dans des chants de liberté, comme un exorcisme des douleurs d’un autre temps rappelant ce qu’il ne faut pas oublier. C’est sous cet angle aussi que cette expansion a du sens. Encore faut-il s’assurer que les investissements et intérêts de la France, de la Chine ainsi que des Émirats, investisseurs de taille dans la technologie et le luxe, ne péjorent pas la démarche en enlisant ces élans dans une potentielle forme de néocolonialisme financier.

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L’art comme porte-voix d’une histoire réparée

Mais c’est dans le domaine de l’art que cette African pride transparaît depuis quelques années. Le Musée d’Art contemporain africain de Marrakech (MACAAL), inauguré à l’occasion de la Cop22 en 2007, avait déjà fait la part belle au métissage lors de sa première exposition, «Essentiel Paysage», titre repris à un poème d’Aimé Césaire ouvrant non seulement le débat sur le rapport des peuples africains à l’environnement, mais aussi, plus subtilement, sur le rapport entre la terre et le soi, comme pour éveiller les consciences sur un lien si basique, viscéral, et pourtant trop longtemps nié.

Équipée d’un studio itinérant, la regrettée photographe Leila Alaoui a également contribué à remettre en lumière ces racines africaines enfouies. La richesse de cet héritage multiple se lit dans sa série de portraits réalisée entre 2010 et 2014 dans diverses régions reculées du Maroc, série à travers laquelle l’artiste nous rappelle l’hybridation culturelle intrinsèque à la région. Une série où les regards lancent des ponts, enjoignant aux Marocains de revoir leur propre définition. L’itinérance revient également dans son œuvre «Crossings», en 2013, une installation vidéo immersive abordant la migration et le sentiment de liberté que l’on se doit. Une démarche qu’il faut peut-être avoir le courage d’entreprendre, conjurant ainsi une certaine forme de fatalité par le mouvement vers l’autre.

Le musée Yves Saint Laurent à Marrakech, inauguré en 2017 (Dan Glasser)

L’inauguration du musée Yves Saint Laurent en 2017 avait aussi marqué ce désir d’affirmation d’une identité panafricaine. Son architecture rappelle autant les constructions en Adobe typique du grand sud marocain que les huttes troglodytes de Ouagadougou. Une pluralité complexe, une universalité quasi mystique qu’Yves Saint Laurent lui-même avait su saisir de la culture de cette région au confluent des mondes.

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