StratégieAcadémique

Célébrer le temps long: la quintessence du storytelling transmédia

Sandra Krim

By Sandra Krim01 février 2022

La force narrative des marques de luxe constitue un actif primordial de leur valeur symbolique. Recourir au storytelling transmédia permet de cibler efficacement tous les publics et trouve son apogée lorsque les marques glorifient le temps long. Les célébrations du bicentenaire de Louis Vuitton, du centenaire de Gucci ou encore celui du mythique parfum N° 5 de Chanel en sont des exemples frappants.

La force du transmedia storytelling réside dans sa capacité à développer la visibilité des marques tout en augmentant l’engagement et le lien émotionnel des publics cibles, ainsi que la fidélité de la clientèle. Ici, l'actrice Marion Cotillard porte le collier 55.55 qui exprime tous les codes de
la fragrance N°5 de Chanel. (Chanel)

Concept transversal lié au double phénomène de diversification et de convergence des médias, la narration transmédia, ou transmedia storytelling, est née dans le domaine de la recherche académique sur les médias et les sciences culturelles. Originellement définie dans son ouvrage de référence Convergence Culture (2006) par Henry Jenkins, la narration transmédia peut initialement se comprendre comme une méthode de développement d’œuvres de fiction ou de divertissement par l’utilisation de plusieurs plateformes médiatiques pour développer des éléments narratifs cohérents et complémentaires visant à créer une expérience coordonnée et unifiée (séries Marvel, Star Wars, saga Harry Potter…).

Les origines de Louis Vuitton ont été marquées par une quête épique : Louis, un jeune homme de 14 ans, quitte la maison familiale. A l'occasion de la célébration de
son 200e anniversaire, la Maison s'est inspirée de ce parcours pour développer un jeu de plateforme ouvert à tous et transgénérationnel (Louis Vuitton)

Appliqué au marketing, le concept de transmedia storytelling se décline en plusieurs univers narratifs, notamment chez les marques des luxe. Cette stratégie est particulièrement adaptée, car la densité narrative (au sujet de la marque, des produits, de l’entreprise …) permet d’optimiser les effets sur le public.

Se distinguant du crossmedia storytelling, qui utilise les mêmes éléments de communication via différents médias, la force du transmedia storytelling réside dans sa capacité à développer la visibilité des marques tout en augmentant l’engagement et le lien émotionnel des publics cibles, ainsi que la fidélité de la clientèle, par la convergence de contenus et de supports différents, tels que : la presse écrite ou en ligne, le cinéma, la télévision, les sites internet des marques, leurs réseaux sociaux (qui peuvent proposer des contenus différents entre eux), leurs applications et podcasts, le gaming ou le métavers.

Le transmedia storytelling, une stratégie d’autant plus immersive

Une malle - l'objet le plus emblématique de Louis Vuitton - est transformée en pièces artistiques pour célébrer le bicentenaire de la Maison. Les artistes se sont vus donner carte blanche pour créer sans limites. Ici la malle de Pierre Yovanovitch (Louis Vuitton)

Le bicentenaire de Louis Vuitton, célébré en 2021, est une démonstration magistrale : les équipes de la maison de luxe ont réalisé une célébration polymorphe (exposition muséale, collaborations artistiques, jeu en ligne « Louis the Game ») autour du concept narratif intitulé «Louis 200», créant un univers complexe et unifié, propice à créer et/ou à développer la relation entre le consommateur et la marque.

Outre les aspects de création et de production, les stratégies de transmedia storytelling des marques de luxe s’articulent autour de quatre enjeux principaux : trois enjeux typiques des problématiques du transmedia storytelling, qu’il soit culturel ou marketing, ainsi qu’un enjeu particulier à la communication des marques de luxe.

Le premier enjeu caractéristique du transmedia storytelling est par essence narratif, en ce qu’il repose sur la cohérence des différents éléments de l’histoire. Il implique des enjeux temporels et technologiques. Le premier consiste à dévoiler des extensions transmédia d’un narratif principal ou les différents éléments de ce dernier au bon moment afin d’assurer la cohérence de l’univers raconté. Le deuxième est également fondé sur la nécessité de cohérence, qui implique que chaque élément transmédia soit porté par le support ou la technologie le plus pertinent.

Le temps long, une déconnexion à l’offre mercantile immédiate

Le transmedia storytelling des marques de luxe doit, de plus, répondre à un enjeu marketing spécifique: pour être optimal, il ne doit pas être trop commercial, trop orienté vers l’aspect transactionnel, mais au contraire s’axer sur la dimension relationnelle des consommateurs avec la marque.

Gucci a célébré le centenaire en proposant des expériences immersives et à l’aide d’une playlist musicale de titres mentionnant la marque, disponible sur Spotify et Apple Music (Gucci)

C’est pourquoi la célébration du temps long du luxe – ce dernier étant déconnecté de l’offre mercantile – permet au transmedia storytelling de prendre toute sa dimension, comme cela a été le cas pour le centenaire de Gucci, qui a proposé des expériences immersives par un pop-up store ou en ligne, aussi bien qu’à l’aide d’une playlist musicale de titres mentionnant la marque, disponible sur Spotify et Apple Music.

Déplaçant la perception des consommateurs de produits de luxe de la sphère commerciale à une sphère culturelle, le transmedia storytelling des marques de luxe intègre à la fois les dimensions expérientielles, culturelles et informationnelles qui constituent un univers narratif coordonné et rendu cohérent par la puissance symbolique de la marque ou, parfois, d’un produit iconique.

Ainsi, les 100 ans du N° 5 de Chanel ont été pour la marque l’occasion d’optimiser toutes ses armes de soft power et de signifier à la fois son iconicité propre et celle du célèbre parfum, dont la légende veut qu’il ait été porté par Marylin Monroe et dont le mythique flacon a donné lieu à une acrylique d’Andy Warhol.

A l'occasion des 100 ans du Chanel N° 5, la maison de luxe a livré une démonstration de pouvoir et de force d’évocation symbolique parfaitement orchestrée et témoignant de la richesse de ses savoir-faire (Chanel)

De la campagne promotionnelle hautement sémiotique – incarnée par Marion Cotillard – à l’élégant coffret de livres consacrés au fameux jus, la maison de luxe a livré une démonstration de pouvoir et de force d’évocation symbolique parfaitement orchestrée et témoignant de la richesse de ses savoir-faire. Le paroxysme de cette célébration est sans nul doute l’embrasement des réseaux sociaux pour la divulgation de la spectaculaire collection de haute joaillerie consacrée à l’événement. La pièce la plus somptueuse de cette «Collection N° 5», et ayant suscité le plus d’engagements des internautes, est un collier de diamant (destiné au patrimoine de la maison), inspiré par la silhouette du célèbre flacon et dévoilant en son centre un diamant octogonal de 55,55 carats.

Le recours aux stratégies de transmedia storytelling pour la célébration du temps long – qui concourt à l’aura et à la légitimité des maisons de luxe – permet aux marques d’optimiser l’exploitation de leur richesse narrative et patrimoniale.

Il ne fait nul doute que le métavers sera bientôt un nouveau territoire privilégié de réalisation de ce type de stratégie de communication. Le futur du transmedia storytelling des marques de luxe s’annonce encore plus expérientiel, immersif et interactif pour les consommateurs.

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