Innovation & Savoir-faire

«La maison Éric Bompard a une histoire, elle n’a pas besoin de storytelling»

Thibaut Mortier

By Thibaut Mortier04 janvier 2022

L’entreprise familiale Eric Bompard, pionnière du cachemire durable et responsable connaît une nouvelle croissance depuis sa reprise en main par Barbara Werschine, aujourd’hui CEO de la marque et ancienne vice-présidence de la griffe Zadig & Voltaire. Elle explique comment le modèle résilient de la marque n’est pas soluble dans la crise.

80 % des ventes sont réalisées par des modèles intemporels au style qui portent haut le chic et l’élégance contemporains à la française (cols ronds, cols V, cols roulés) (DR)
Barbara Werschine, CEO d'Eric Bompard, a repris la direction de la marque en 2020 (DR)

C’est un scénario digne des meilleures tentatives de business fiction ou des pires cas d’école de commerce ou de MBA : «Imaginez que vous prenez la direction générale d’une entreprise de 300 personnes, dotée de 65 boutiques. Une épidémie mondiale vous impose trois mois de confinement. Pour couronner le tout, il fait très beau et très chaud. Ah oui! Cette entreprise est le leader français du cachemire». Impensable. Pourtant, c’est bien ce qui est arrivé à Barbara Werschine, lorsqu’à 47 ans, elle quitte la vice-présidence de la griffe Zadig & Voltaire dont elle a assuré le développement retail international, et la profitabilité, pour diriger une belle endormie. «J’ai immédiatement été séduite par l’histoire de cette maison, la qualité de son cachemire et des équipes. Il y avait beaucoup de choses à remettre en ordre, la stratégie, la gestion des stocks ou encore la communication, mais surtout quarante-huit heures après mon arrivée est tombé le premier confinement. Ça a été un vrai challenge, il a fallu prendre des décisions rapides et très rapprochées».

Quarante-huit heures après mon arrivée est tombé le premier confinement. Ça a été un vrai challenge, il a fallu prendre des décisions rapides et très rapprochées

Barbara Werschine, CEO d'Eric Bompard

Agilité, intuition, expérience, voilà les valeurs gagnantes. Justement, c’est là où l’expertise de la dirigeante, réputée pour sa passion du savoir-faire et de l’artisanat apprise chez Hermès, et son talent de leader d’équipe éprouvé chez Louis Vuitton, fait des étincelles. «Immédiatement, j’ai veillé au fait que nos équipes soient à l’abri et protégées, mais également que l’entreprise puisse poursuivre son activité dans ce contexte hors-norme. Nous venions de connaître en France plusieurs mois de gilets jaunes et de fermetures de boutiques, il fallait être sur le pont pour soutenir et encourager les vendeurs et les directrices de boutiques. Et aussi montrer à nos clients qu’ils pouvaient compter sur nous.»

Des nouveaux choix stratégiques

La marque compte désormais également une directrice créative, Carolyn Randolfi, réputée dans la maille (DR)

Monsieur Éric Bompard existe vraiment. C’est un entrepreneur qui a fondé la maison au début des années 80 et que la presse hexagonale avait surnommé «le roi du cachemire

Barbara Werschine, CEO d'Eric Bompard

Les équipes de Bompard s’activent donc, en mettant à disposition des forces de vente les outils nécessaires au travail à distance, en réorganisant la logistique et la gestion des stocks, en bousculant les habitudes. Régulièrement, Barbara Werschine adresse des messages vidéo ou écrits à ses équipes pour galvaniser les troupes.  Et ça marche. Éric Bompard résiste plutôt mieux que le marché aux conséquences du Covid. «Les chiffres sont bons, les profits sont là, et les cachemires Bompard plus solides que jamais», sourit Barbara Werschine. Une résilience qui s’explique par la qualité des choix faits ces dernières années: accélération de l’e-commerce, mise en place de l’omnicanalité, nouvelle plateforme de marque, mise en place d’un concept de boutique différenciant, arrivée d’une directrice créative, Carolyn Randolfi, réputée dans la maille, collaboration avec des artistes contemporains, et campagne de communication renouvelée. Ce coup d’accélérateur contemporain ne doit pas pour autant faire oublier la qualité des fondamentaux de la marque, dont la démarche RSE est inscrite dans les gènes, et l’écoresponsabilité, un pattern, comme on dit aujourd’hui. En effet, beaucoup l’ont certainement oublié, ou ne l’ont jamais su, mais monsieur Éric Bompard existe vraiment. C’est un entrepreneur qui a fondé la maison au début des années 80 et que la presse hexagonale avait surnommé «le roi du cachemire».

Importer des ballots de laine brute, une intuition du fondateur

À l’occasion d’un voyage en Asie, celui qui est alors patron d’une société informatique découvre le cachemire et la capra arbas, une chèvre qui vit sur les hauts plateaux de Mongolie à plus de 3000 mètres d’altitude et dont le poil, depuis des millénaires, donne une fibre douce, soyeuse, très prisée. En 1983, seule l’Écosse importe alors des ballots de laine brute. Tel le gringo de la publicité Jacques Vabre, Éric Bompard a l’intuition de ce produit extraordinaire et va le rapporter en France, fil après fil. «À l’époque, confie Barbara Werschine, un pull en cachemire est plus qu’un objet de luxe, quelque chose d’exceptionnel qu’on pouvait recevoir une ou deux fois dans sa vie. Les prix étaient très élevés.» Depuis lors, rien n’a changé, ou presque. Les fondamentaux des approvisionnements en matière première, établis par Éric Bompard et son partenaire, M. Wang, producteur de cachemire à la tête du groupe Erdos, sont au cœur du succès de la marque. Mieux, Erdos a fini par entrer au capital de Bompard, preuve, s’il en était besoin, de la durabilité du partenariat. Devenu associé, le fournisseur a un intérêt accru à proposer à Éric Bompard les meilleurs cachemires. Une éthique qui est le maître mot de la société, sur le plan humain comme environnemental depuis toujours, bien avant que ce soit devenu une injonction dans le monde des affaires. «Éric Bompard, souligne Barbara Werschine, a toujours fait du développement durable, comme monsieur Jourdain de la prose, sans le savoir. Nos valeurs sont le respect des fournisseurs, de la matière première, du personnel et des clients.»

Les fondamentaux des approvisionnements en matière première, établis par Éric Bompard et son partenaire, M. Wang, producteur de cachemire à la tête du groupe Erdos, sont au cœur du succès de la marque (DR)

La durabilité par la traçabilité et l’innovation

La marque est à même de réaliser plus de 2000 couleurs à partir de pigments et de matières naturels (DR)

La maison s’est toujours passionnée pour les techniques de coloration, de filage ou les points de tricot

Barbara Werschine

Voilà pourquoi la transmission est au cœur des cachemires Bompard. Pour qu’ils durent, ils sont réparables, comme tous les véritables objets de luxe. Des remailleuses maison entretiennent les cachemires préférés des clients, les réparent, les brodent, leur donnant une seconde vie pour les nouvelles générations. Difficile de trouver plus écologique. Ainsi, la maison qui a notamment bâti sa réputation autour de ses innovations dans les couleurs, peut s’enorgueillir, par-delà la traçabilité historique de ses fibres, d’être à même de réaliser plus de 2000 couleurs à partir de pigments et de matières naturels, depuis toujours. «Bompard est synonyme d’innovation, confie Barbara Werschine. La maison s’est toujours passionnée pour les techniques de coloration, de filage ou les points de tricot et se fait fort de remettre au goût du jour des techniques ancestrales. Nous ne laissons jamais rien au hasard.» La nouvelle équipe, si elle comporte notamment une nouvelle styliste, Carolyn Randolfi, passée notamment par la maille chez le géant américain Ralph Lauren, une nouvelle secrétaire générale et une directrice de la communication venue du luxe, perpétue l’esprit de la maison. Dans les années à venir, Bompard va ouvrir de nouvelles boutiques et se déployer à l’international, notamment à travers une stratégie de wholesale. La demande est forte auprès des distributeurs, notamment en Europe, aux États-Unis et en Asie. La douce histoire de la maison Bompard a donc de beaux jours devant elle.

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