Contrairement aux prophéties de certains Cassandre, l’industrie du luxe pourrait profiter du Brexit au sortir de la pandémie de coronavirus. Surtout si l’Union européenne et le Royaume-Uni parviennent à imaginer un avenir commun. Décryptage.
Le 23 juin 2016, les Britanniques se prononçaient à 51,9% pour une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Très rapidement, les annonces de l’industrie du luxe se multipliaient. Qualifiant ce vote de «séisme», de «catastrophe annoncée» ou encore de «cataclysme». Une étude réalisée par le bureau Walpole prédisait même une perte de 6,8 milliards de livres pour le luxe britannique. Plus de quatre ans après la victoire du «Leave», le ton a radicalement changé. Le climat anxiogène a laissé la place aux bonnes nouvelles. En effet, la baisse annoncée de la livre sterling pourrait, au contraire, profiter au secteur. Ce que confirme une récente étude de la banque RBC Europe Limited. En effet, les fluctuations monétaires pourraient faire affluer les touristes étrangers sur sol britannique, une fois la pandémie de coronavirus maîtrisée, car les produits vendus dans les boutiques coûteraient moins cher. Un scénario qui s’est déjà produit comme le rappelle Jean-Daniel Pasche, président de la Fédération de l’industrie horlogère suisse: «En 2016, suite à la dépréciation de la livre de 15%, les montres suisses sont devenues instantanément moins chères pour les touristes asiatiques et américains notamment, qui représentent une part importante du marché horloger britannique. Par la suite, et afin de ne pas augmenter massivement les prix, les marques ont absorbé une partie de la différence sur leurs marges, laissant ainsi toute son attractivité au Royaume-Uni. Depuis, ce dernier est devenu le premier débouché européen pour les montres suisses et un moteur de la croissance.»
Croissance annoncée
Le Royaume-Uni est devenu le premier débouché européen pour les montres suisses
Jean-Daniel Pasche, président de la Fédération de l’industrie horlogère suisse
Autre conséquence, les entreprises du luxe réalisant une grande partie de leur chiffre d’affaires en dehors de la Grande-Bretagne sortiraient gagnantes d’une baisse de la livre puisque leurs revenus seraient principalement en euros et en dollars. Ce qui explique certainement la réévaluation réalisée par Walpole. Dans sa dernière étude, le bureau estime que le secteur du luxe britannique a réalisé un chiffre d’affaires d’environ 54 milliards d’euros en 2019. D’ici à 2024, il devrait dépasser les 73 milliards. Soit une croissance supérieure à 35%. A condition cependant que l’Union européenne et le Royaume-Uni parviennent à un accord concernant leurs futures relations commerciales et que les conséquences de la pandémie de coronavirus ne soient pas trop profondes. Comme le souligne Giana Eckhardt, professeur de marketing à l’Université Royal Holloway de Londres: «Les conséquences du Brexit sur l'économie britannique dépendent des accords commerciaux que le Royaume-Uni est en mesure de négocier. S’il peut négocier un meilleur accord commercial avec les États-Unis, par exemple, qu'il ne l'avait fait lorsqu'il était membre de l'UE, les conséquences économiques pourraient ne pas être négatives. Mais c'est une inconnue pour le moment.» Avant de rappeler: «Pour l'industrie du luxe, le covid aura un impact plus fort que le Brexit car la pandémie est en train de changer la signification du luxe, moins basée sur l'affichage du statut que sur l'authenticité et la durabilité. Soutenir les entreprises locales et la communauté et s'engager dans des expériences significatives avec leurs proches représentent le nouveau luxe discret vers lequel les consommateurs d'élite sont attirés. On ne sait pas si les marques de luxe traditionnelles peuvent pivoter pour répondre à ce changement.»
Dans une analyse réalisée avant le confinement, Stéphane Monnier, CIO du groupe bancaire Lombard Odier, mettait cependant en garde: «L'empressement du Royaume-Uni à signer un accord avec l'UE donne à penser qu'il souhaite pouvoir se consacrer au plus tôt à la négociation d’accords avec d'autres partenaires commerciaux. En réalité, l'échéance de fin d'année est plus proche qu’elle n’y paraît. Le risque existe que, plutôt que de conclure un accord commercial «approfondi», le Royaume-Uni ne parvienne dans ce court délai qu’à un accord a minima, de faible portée.» Ce qui aurait un impact direct sur l’économie et donc sur l’industrie exportatrice. Surtout quand on sait que plus de 80% des produits de luxe britanniques sont exportés, principalement en Europe puisque le Vieux-Continent représente son plus grand marché.
Accès facilité pour la Suisse
Du côté des entreprises européennes, on attend de connaître l’issue des négociations avant de prendre de nouvelles dispositions. Elles ont été retardées de six semaines en raison du coronavirus mais ont repris à la fin du mois d’avril. Le gouvernement de Boris Johnson affirme vouloir respecter l’échéance du 31 décembre 2020. En attendant, c’est le mutisme qui domine. «Nous n’avons pas de commentaires à faire pour le moment sur le sujet», nous répond Aurore Borderie, porte-parole du groupe LVMH. Côté suisse, c’est un autre son de cloche. En effet, le pays a pu profiter de sa position hors de l’Union européenne pour prendre des mesures afin d’éviter tout vide juridique, comme le rappelle Jean-Daniel Pasche: «Un accord commercial bilatéral a été signé le 11 février 2019, et d’autres accords ont suivi en matière de règles d’origine, de facilitation et sécurité douanière, de transports, entre autres. Quel que soit le scénario des négociations à venir entre le Royaume-Uni et l’UE, la Suisse dispose ainsi des instruments de base permettant de maintenir un accès facilité au marché britannique. Dans ce contexte et les questions logistiques mises à part, comme le transit des marchandises via l’Union européenne, aucune conséquence particulière ne devrait survenir en ce qui concerne l’accès au marché proprement dit.» Avant de nuancer: «Sur le marché britannique lui-même, il va de soi que des conséquences restent possibles au niveau des ventes de montres, principalement en lien avec l’évolution de la livre sterling, et donc du tourisme. Du point de vue de la consommation domestique, les clients de l’horlogerie suisse ne devraient pas être trop affectés, à l’exception peut-être de la clientèle issue de la City.»
Autre motif de réjouissance, le Brexit met l’accent sur l’identité britannique comme le rappelle Giana Eckhardt: «Cela peut aider à renforcer les marques de luxe qui se positionnent autour de la britannicité. Le meilleur exemple de ceci serait Burberry. Ils se sont toujours positionnés comme la marque britannique par excellence, et donc une Grande-Bretagne indépendante s'inscrit dans cette identité de marque. D'autres marques de luxe qui ont des identités similaires sont Mulberry, Aston Martin et Bentley.»
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