Business

«La Mostra confirme son influence sur les films en course pour les Oscars»

Cristina D’Agostino

By Cristina D’Agostino10 septembre 2021

Entre grandes productions, propositions intimistes et films en réalité virtuelle, la 78e édition de la Mostra place définitivement le Festival du film de Venise sur l’échiquier des grands rendez-vous capables d’influer sur l’industrie du cinéma. Son directeur Alberto Barbera en détaille les stratégies.

L'acteur Timothée Chalamet sur le tapis rouge avant la projection de Dune (RED CARPET - DUNE - Timothée Chalamet (Credits La Biennale di Venezia - Foto ASAC by G. Zucchiatti)

Pour Alberto Barbera, directeur du Festival international du film de Venise, le retour des Américains est de bon augure. Il est le symbole très attendu d’une reprise de l’industrie du cinéma. Depuis dix ans, cet ancien journaliste et critique de cinéma s’emploie à redonner l’aura et le prestige international au plus ancien festival de film au monde. Cette 78e édition est déjà un succès selon lui, malgré les restrictions liées au Covid-19 qui empêchent la Mostra de faire salle comble. Toutes les grandes stars du cinéma se sont pressées sur son tapis rouge. La consécration d’une politique mise en place à son arrivée à la tête de la Mostra.

Alberto Barbera, directeur de la Mostra, à droite de l'image. A côté de lui Tye Sheridan, Tiffany Haddish au centre, Paul Schrader et Oscar Isaac, lors de la présentation du film The Card Counter (La Biennale di Venezia - Foto ASAC by J. Salvi)

Vous vous employez depuis une dizaine d’années à repositionner le Festival international du film de Venise. Mais un festival ne peut pas croître sans une industrie forte. Quelle est votre stratégie?

C’est un projet qui s’est construit autour d’une idée, celle d’être en adéquation avec le nouveau millénaire, celui qui a déjà vécu la révolution digitale, pour en finir avec ces anciennes catégories et critiques qui appartiennent au passé, celles qui prévalaient dans les années 60. Aujourd’hui, les films d’auteur existent, mais doivent se confronter à un marché industriel global. La pandémie a imposé encore plus les plateformes digitales. La concurrence entre elles sert la qualité des contenus, qui deviennent riches et variés, adaptés à une audience globale et spécifique à la fois. Aujourd’hui, le public veut choisir parmi des catégories, des styles de films. Le jeu de l’offre et la demande guide le marché de l’industrie du film. Ce n’est pas pour autant une limitation à la liberté créative, bien au contraire.

Vous n’avez donc jamais été critique envers ces plateformes?

Non, car dès les débuts, il était évident que les plateformes digitales allaient représenter l’avenir. Nous avons fait le choix de présenter le premier film Netflix en 2014 déjà. Nous avions compris que ce support allait devenir très important sur le marché de la production.

Vous étiez seul à le penser à l’époque…

Oui. Aujourd’hui, je ne vois pas de différence en termes de qualité entre Netflix, Warner Bros ou Disney Plus. La différence se situe sur le moyen de donner à voir les films. Warner produit les films et les montre à la fois dans les salles et sur la plateforme, alors que Netflix les propose uniquement sur sa plateforme.

Mais que dites-vous de la guerre qui se joue entre plateformes?

La guerre s’est simplement déplacée. Par le passé, la bagarre se situait sur la conquête du plus grand nombre de salles de cinéma, aujourd’hui elle consiste à conquérir les téléspectateurs et les abonnés.

Quel est votre but avec la Mostra?

La qualité. L’intérêt des plateformes est de produire des films qui vont être montrés dans les festivals, car c’est une manière d’apporter de la valeur au film, et ainsi se distinguer du reste de la production. Représenter un gage de qualité, c’est fondamental. C’est pour cela que les festivals deviendront toujours plus importants. Leur rôle ne diminue pas à cause d’internet, la promotion se fera toujours plus au contact du public.

Quelle est l’évolution créative des films en réalité virtuelle, également primés à la Mostra?

Ce secteur vit encore sa phase expérimentale. Je peux comparer cette recherche à celle du cinéma des années 20 qui cherchait un langage, une esthétique, liant l’art et le théâtre, pour explorer les univers cinématographiques. Les réalisateurs de l’époque essayaient encore de comprendre comment raconter une histoire avec l’image. Les standards ont mis du temps à s’établir.

Quel avenir y voyez-vous?

Je ne pense pas que la réalité virtuelle remplacera le cinéma, c’est une forme d’art et d’expression autonome qui aura ses règles, ses standards qui n’existent pas encore. Il existe Oculus et d’autres supports, mais rien n’est encore arrêté. Il faut encore dépasser les désagréments ressentis lors d’un visionnage, éliminer ces sensations de malaises physiques. Mais la créativité est présente. Le marché existera du moment que les standards seront établis. Cela ressemble à la guerre entre les systèmes VHS et BETA de l’époque. Le cinéma en VR est un moyen d’expression qui raconte autre chose, avec d’autres moyens. Il sera complémentaire au cinéma. Il était important que le festival accueille la réalité virtuelle en lui consacrant un concours, afin que la compétition entre les meilleurs artistes puisse élever le niveau.

Une des images du film en réalité virtuelle Anandana en compétition dans la catégorie films en VR (Anandana)

Les Américains sont de retour à la Mostra. Ils ont compris que gagner un prix au Festival du film de Venise représente une grande chance de décrocher un Oscar. Comment l’expliquez-vous?

Le film de Chloé Zhao Nomadland avait remporté le Lion d'Or à la Mostra 2020 avant de remporter six Oscar dont celui du meilleur film en avril 2021 (Nomadland)

Quelques facteurs nous ont aidés. C’est d’abord une question de timing. La Mostra ouvre la saison des festivals en même temps que commence la course aux Oscars. On sait que pour promouvoir un film qui veut entrer dans cette course, quatre à cinq mois sont nécessaires. Mais il est bien sûr question de choix de films. Je me souviens qu’avoir choisi Gravity a été une véritable surprise pour beaucoup. Le film a gagné un Oscar par la suite. Puis il y a eu Spotlight, Lalaland, Shape of Water, Roma, Nomadland. Chaque année, nous avons envoyé un film aux Oscars. Les Américains voient désormais Venise comme une plateforme idéale pour lancer leurs films.

Était-ce déjà votre stratégie il y a dix ans?

Oui, car il est difficile de créer la renommée d’un festival international sans les Américains. C’est aussi un facteur qui met en lumière les films indépendants de plus petite production. Être à Venise en même temps qu’un film comme Dune, cela donne un certain prestige. Venise souffrait de la concurrence de Toronto, qui attirait les distributeurs et vendeurs de films dans l’espoir de pénétrer le marché nord-américain. Ils ne venaient plus à Venise. Il manquait le marché. Nous avons aujourd’hui réussi.

Cette compétition entre festivals a également lieu sur le terrain des partenariats. Attirer les grands noms fait aussi partie de votre stratégie?

Oui, bien sûr. Le partenaire idéal qui se marie le mieux avec le cinéma, c’est celui qui participe au glamour, qui habille les stars, les acteurs dans les films. Je veux parler de la mode, mais aussi de la joaillerie, comme Cartier, nouveau partenaire principal. Ils en tirent évidemment profit pour leur promotion. C’est une attention majeure de la presse sur le tapis rouge. Nous aimons l’idée de créer quelque chose ensemble. Les opérations communes sont très importantes.

Une des scènes du film Dune, avec Timothée Chalamet et Rebecca Ferguson (DR)

De quoi êtes-vous le plus fier dans cette édition 2021?

Cette année, la programmation est exceptionnelle. La qualité est plus élevée, nous avons pu choisir parmi des films extraordinaires. Avoir pu décrocher le film Dune a été très bénéfique pour la Mostra, car le film était très attendu depuis trois ans. Ce que je souhaite, c’est que cela serve à relancer l’industrie. Nous avons tous besoin de ce nouveau départ, malgré la pandémie, qui est là pour durer.

Partager l'article

Continuez votre lecture

Cartier et la Mostra, l’art et la manière de croiser les mondes
Stratégie

Cartier et la Mostra, l’art et la manière de croiser les mondes

Nouveau partenaire principal de la Mostra, le Festival international du film de Venise, Cartier veut en faire une plateforme multidimensionnelle d’échanges et de conversations artistiques.

By Cristina D’Agostino

“J’étais très ambitieux. Puis j’ai vécu mes années à Hollywood”
Art & Design

“J’étais très ambitieux. Puis j’ai vécu mes années à Hollywood”

De passage en Suisse, l’acteur raconte comment, installé depuis dix ans à Hollywood, sa manière d’appréhender le milieu artistique et ses quelques qualités très helvétiques lui ont permis de grandir et de durer.

By Cristina D’Agostino

S'inscrire

Newsletter

Soyez prévenu·e des dernières publications et analyses.

    Conçu par Antistatique