Durabilité

Bracelets recyclés: le labo green de l’horlogerie

Yannick Nardin

By Yannick Nardin04 juillet 2023

Pour créer des montres plus durables, les horlogers se tournent vers des matériaux «ecofriendly». Plusieurs innovations concernent les bracelets, composants à «faible» risque et qui n’engagent pas la montre dans son ensemble. Décryptage.

Le surfeur Kelly Slater fait partie d'une des "squads" de la marque Breitling. Il porte un modèle SuperOcean avec bracelet en Econyl, un matériau fabriqué à partir de filets de pêche recyclés (Breitling)

Qui se souvient des montres en plastique à base de maïs des années 1990? Le temps d’un été, ce modèle aux grandes oreilles noires de Minnie avait pu faire fureur, malgré sa faible résistance. Le succès n’avait pas été à la hauteur des attentes. Swatch explique d’ailleurs avoir, à l’époque, exploré ce matériau dans une optique industrielle, plus qu’écologique (même si les experts tiraient déjà la sonnette d’alarme). Aujourd’hui, la situation a bien changé. La GenZ aime le luxe, mais se préoccupe aussi du sort de la planète. En parallèle, les législations se durcissent en matière de due diligence, mais aussi de transparence, avec de possibles sanctions en cas de greenwashing. Par la force des choses, les horlogers explorent le monde de la responsabilité sociale et environnementale (RSE), assumant la valeur d’exemplarité attendue d’un produit haut de gamme et/ou Swiss Made. Et les innovations – recyclage de métaux, de plastique, mais aussi du marc de café ou de déchets végétaux – passent volontiers par l’étape bracelet, un composant sans impact sur ce que les gens du cru appellent la «tête de montre».

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Le bracelet, porte d’entrée de la durabilité

Ce qui compte, c’est le message aux consommateurs: Donnez une deuxième vie aux objets

Rolf Studer, CEO d’Oris, marque de montres de luxes très impliquée dans la durabilité

Précision et fiabilité, les vertus incontournables d’une montre mécanique de qualité complexifient l’utilisation de nouveaux matériaux tels que recyclés. Parmi les rares à tenter l’exercice, Panerai a présenté en 2021 la Submersible eLAB-IDTM. Composée pour 98,6% de son poids en matériaux recyclés (titane, SuperLuminova et même silicium), cette montre-concept résultait d’investissements considérables. «Nous avons dû commencer de zéro, créer tout le réseau de fournisseurs et mettre au point les matériaux. Dans un deuxième temps, lorsque l’acier recyclé sera utilisé pour toutes nos montres, nous pourrons prétendre à un retour sur investissement», explique le CEO de la marque, Jean-Marc Pontroué. Car Panerai, tout comme Chopard – par ailleurs précurseur dans le domaine de l’or responsable –, prévoit de n’utiliser pour ses montres que de l’acier recyclé (avec une teneur de 90 à 95% d’acier recyclé selon les alliages respectifs) d’ici 2025.

Le modèle Panerai Submersible QuarantaQuattro eSteel™ Verde Smeraldo (Panerai)
Lors du salon Watches and Wonders Geneva, Chopard a dévoilé sa volonté d’utiliser, d’ici à fin 2023, du Lucent Steel, de l’acier recyclé, pour la production de tous ses garde-temps en acier. Ici, le modèle Alpine Eagle (Chopard)

Dans cette quête ardue et coûteuse, le bracelet se prête plus facilement aux audaces que tout autre composant, sans influence sur la marche de la montre. Celui-ci est même souvent prévu pour être changé par le consommateur lui-même, histoire de varier les looks. Les matériaux éco présentent plus de fantaisies, ils sont parfois transformés en talking pieces. De la même manière, les boîtes et les écrins sont de plus en plus habillés de matériaux recyclés – avec pour défi principal, comme pour les bracelets, de soigner l’expérience luxe attendue des clients. Ainsi, Breitling a développé un écrin non seulement entièrement créé à partir de bouteilles en plastique recyclé, mais également pliables, pour un transport moins gourmand en CO2. Car, comme le souligne Jean-Marc Pontroué, «le produit ne représente que la pointe de l’iceberg. L’intégralité de la chaîne de production a de l’importance, transport et packaging compris.» Cela implique pour la plupart des entreprises une profonde révolution, touchant autant les aspects du CSR que des problématiques de l’ombre.

Plastique pas fantastique

Maurice Lacroix a développé un important partenariat avec #tide – qui œuvre à la collecte de PET en Thaïlande, mais aussi en soutenant des programmes d’éducation au sein des communautés locales. Sur la photo, Maurice Lacroix AIKON #tide mint et pink (Maurice Lacroix)

Parmi les fléaux dans le viseur de la surconsommation figure le plastique. De très pratique, celui-ci est devenu – à juste titre – l’ennemi public. Il envahit la planète sous forme de déchets d’abord, puis de microparticules. André Bernheim, président du conseil d’administration de Mondaine, une marque déjà à la recherche d’alternatives durables dans les années 1990, explique qu’un bracelet en plastique recyclé lancé en 2013 avait alors rencontré peu d’intérêt. «Cela a changé dès 2016, lorsque nous avons proposé une montre fabriquée en acier recyclé, issu de la locomotive du Gotthard. Le public était prêt.»

Pour satisfaire la nouvelle conscience écologique face à la déferlante de plastique, deux solutions se profilent: s’en passer ou recycler. Partenaire de nombreux horlogers, Tide Ocean collecte le PET dans les océans pour le transformer en granules «rPET Tide Ocean». Ce matériau qualitatif se prête à plusieurs utilisations horlogères (fil pour tisser des bracelets, mais aussi composite très résistant notamment une fois associé à de la fibre de verre comme chez Maurice Lacroix). Même perspective pour Breitling avec ses bracelets en Econyl, produits à partir de filets de pêche retirés des mers et portés par l’ambassadeur Kelly Slater.

Un espresso au poignet

Le produit ne représente que la pointe de l’iceberg. L’intégralité de la chaîne de production a de l’importance

Jean-Marc Pontroué, CEO de Panerai

Le recyclage s’étend à de nombreux autres matériaux, dont les métaux comme l’acier, le titane et bien entendu l’or, avec d’importants défis: de qualité pour les premiers et de traçabilité pour le dernier. Les innovations de niche sont également nombreuses. La marque ID-Genève possède un ID-Lab à travers lequel elle codéveloppe des matières durables pour une utilisation horlogère. Ces recherches lui ont valu un packaging en champignons (compostable industriellement), un autre en algues (compostable dans le jardin), ou encore un bracelet en déchets verts de parcs londoniens. Toujours dans le rayon alimentaire, Swatch propose des emballages en fécule de pomme de terre et de tapioca, et a mis au point un plastique biosourcé à base d’huile de ricin. Mais aussi, Hublot a récemment lancé des bracelets en tissu ou en caoutchouc contenant (à petites doses) du marc de café Nespresso. La boîte de montre, la lunette, la couronne et les poussoirs contiennent, à hauteur de 28%, de l’aluminium de capsules recyclées.

Hublot présente la Big Bang Unico Nespresso Origin, un modèle issu de la collaboration entre Hublot et Nespresso. Limitée à 200 pièces, cette montre a été fabriquée à partir de capsules de café Nespresso recyclées. Le marc de café a été utilisé pour le bracelet et l'aluminium des capsules a été transformé en boîtier, lunette, couronne et poussoirs (Hublot)

En matière d’acier recyclé de qualité horlogère (soit un acier chirurgical), une révolution s’opère dans le Jura avec l’entreprise Panatere. Prévu pour 2025, un four solaire situé au cœur de la production horlogère limitera encore l’impact environnemental de ce métal grâce à la réduction des transports. La production, estimée à 100 tonnes d’acier, pourrait permettre de couvrir une grande partie de la production annuelle de montres suisses en acier, soit environ 6 millions de 10 millions de montres! D’excellentes perspectives pour ce «nouvel or du Jura», comme en parle l’un de ses early-adopters, Nicolas Freudiger, cofondateur d’ID-Genève, marque de montres circulaires Swiss Made..

ID Genève se passe totalement du plastique et promeut la circularité. La marque utilise notamment de l’acier recyclé produit dans le Jura par Panatere (DR)

Évidemment, même si les montres se comptent en millions, les volumes demeurent anecdotiques et l’industrie ne figure pas parmi les plus polluantes. Pourtant, de telles initiatives expriment la recherche d’exemplarité du luxe et donnent de la visibilité aux innovations. Comme le souligne Rolf Studer, CEO d’Oris, marque également très impliquée dans la durabilité: «Ce qui compte, c’est le message aux consommateurs: ‘Donnez une deuxième vie aux objets’. Il n’y a pas si longtemps, le luxe était synonyme de surconsommation. Aujourd’hui, nous pouvons valoriser la préservation de l’environnement et contribuer à changer les mentalités.» Et quoi de mieux que de consommer peu, mais bien?

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