Stratégie

Solder pour déstocker, un jeu dangereux pour le luxe

Fabio Bonavita

By Fabio Bonavita20 août 2020

Pour remédier à une chute des ventes due à la pandémie de coronavirus, certaines marques de luxe soldent une partie de leur collection. Avec pour ambition d’écouler leur stock et renflouer les caisses. Un virage stratégique qui peut s’avérer désastreux.

Quand on est commerçant, on s’adapte. Lorsque la demande baisse à cause d’une pandémie mondiale, on diminue ses prix pour relancer la consommation. Ce réflexe est valable si l’on fait commerce d’ampoules, de parasols ou de bibelots, mais certainement pas lorsque l’on vend des produits de luxe. Pourtant, avec le confinement et la chute brutales des ventes du secteur, la digue a sauté. Selon l’agence de presse américaine Bloomberg, le géant du commerce de détail Neiman Marcus a mis en vente des lunettes Tom Ford avec une remise de plus de 50%. Même constat au sein de la chaîne de magasins Nordstorm où des sandales Salvatore Ferragamo étaient proposées à 225 dollars au lieu des 375 habituels. Sur internet, le constat est le même. Il suffit de se balader sur la plateforme de vente en ligne Yoox Net-A-Porter pour découvrir des soldes pouvant aller jusqu’à -70%. D’Alexander McQueen à Balmain, en passant par Dolce & Gabbana ou Prada, l’heure est à la grande braderie avec plus de 150'000 produits à prix cassés.

Soldes et luxe n’ont jamais fait bon ménage. (Unsplash)

Vendre au lieu de brûler

76% des consommateurs américains estiment que les marques de luxe devraient proposer leurs produits en promotion

Greg Petro, CEO de First Insight

Une tendance qui n’étonne pas vraiment Greg Petro, CEO de First Insight: «Nous avons récemment interrogé plus de 1200 consommateurs américains sur l'impact du Covid sur leurs décisions d'achat, et plus des trois quarts (76%) estiment que les marques de luxe devraient proposer leurs produits en promotion. Les promotions attendues sont cependant inférieures à celles des autres secteurs: plus de la moitié (54%) des consommateurs disent que les marques de luxe devraient offrir des remises de 25% ou moins.» Avant de préciser: «Historiquement, les marques de luxe ont délibérément pris des mesures pour préserver leur statut d'élite, allant parfois jusqu'à brûler des invendus pour ne pas avoir à faire de rabais. Une remise est une bien meilleure option qui peut au moins aider à stimuler les ventes à court terme sans augmenter les déchets

Question épineuse

La maison Burberry a été la première à proposer des rabais en Chine et en Australie. (Shutterstock)

Une opinion que ne partage pas le cabinet de conseil McKinsey: «Les échanges d’inventaire peuvent être préférables à des remises. En récompensant, par exemple, les clients fidèles avec des cadeaux pour les surprendre et les ravir, tout en aiguisant leur appétit pour revenir faire du shopping.» Plus inquiétant, certaines marques ont décidé d’emboîter le pas des détaillants. Burberry a été la première à lancer les hostilités en proposant des remises sur ces produits atteignant -50% en Chine et en Australie. Une stratégie qui ne semble pas avoir porté ses fruits, bien au contraire. Le groupe britannique a, en effet, vu ses ventes chuter de 45% entre avril et juin par rapport à l’an passé. Sollicitée pour répondre à nos questions, la maison Burberry n’a pas donné suite. Il faut dire que la question des rabais dans le luxe reste éminemment épineuse. Car une politique de remise s’oppose aux valeurs fondamentales du secteur basées sur l’exclusivité, la rareté et donc un prix adapté. Greg Petro nuance: «Nous sommes actuellement en territoire inconnu, et rester ferme sur les prix pourrait même nuire à l’opinion des consommateurs sur une marque de luxe. Elle pourrait être perçue comme étant en décalage avec ce qui se passe sur le marché et dans le monde. Une tarification appropriée et optimisée est essentielle à la réussite: comprendre qui est le client, ce qu'il veut et ce qu'il est prêt à payer.»

Le prix de certains produits de la marque Salvatore Ferragamo a été baissé par la chaîne de magasins Nordstorm. (DR)

Perte d’image

Reste que la clé du succès réside dans une politique de prix cohérente. Sans paniquer lorsque les ventes plongent. Et sans exagérer lorsque la conjoncture est florissante. Ce que confirme l’institut Wealth-X dans son rapport «Identifying Emerging Cities for Luxury Development and Expansion»: «La cohérence et la transparence des prix servent à renforcer la confiance et l’authenticité ainsi que l’éthique de la marque dans son ensemble.» Et donc éviter tout double discours. Tout le contraire de la stratégie du groupe milanais Prada qui annonçait en mars de l’an dernier qu’il n’allait plus proposer de rabais pour écouler ses collections. But avoué à l’époque? Augmenter les marges et préserver l’image de marque. Pour le consommateur, il peut donc sembler étonnant (doux euphémisme) de retrouver en ce moment plus de 300 articles soldés sur la plate-forme Yoox Net-A-Porter. Pour la cohérence, on repassera. 

Le groupe milanais Prada annonçait en mars de l’an dernier qu’il n’allait plus proposer de rabais pour écouler ses collections (Shutterstock)

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