Mode

Pourquoi l’Arabie saoudite pousse ses marques de mode à s’affirmer à l’échelle mondiale

Shilpa Dhamija

By Shilpa Dhamija23 octobre 2023

Le secteur du luxe devrait atteindre 11 milliards de dollars d'ici 2030 dans les pays du Golfe et l'Arabie saoudite veut être l'un des principaux bénéficiaires de cette croissance. Pour l’heure dominé par les importations étrangères, le marché saoudien de la mode veut privilégier ses marques locales et devenir un acteur de premier plan dans la chaîne d'approvisionnement mondiale de la fashion.

Ashi Studio à la Semaine de la Haute Couture de Paris 2023 Juillet (Ashi Studio)

$ 11 Mrd

la valeur attendue pour le secteur du luxe dans les pays du Golfe d'ici 2030

$ 32 Mrd

prévisions des ventes de mode au détail pour 2025, tous segments confondus

42%

augmentation des importations de vêtements en Arabie saoudite entre 2012 et 2021

L'Arabie saoudite accueillait dernièrement sa toute première semaine de la mode officielle à Riyad, un événement que la Commission saoudienne de la mode (SFC), mise en place il y a peu, espère transformer en un événement annuel de premier plan pour l'industrie, à l'instar des semaines de la mode de Paris, de Londres ou de New York. Trente marques locales ont été sélectionnées pour participer à cet événement de quatre jours auquel étaient conviés des acheteurs VIP, des personnalités du monde de la fashion et des acteurs clés du secteur. «Nous nous efforçons de faciliter les résultats commerciaux positifs pour nos créateurs, qu'il s'agisse de nouveaux contrats avec des acheteurs ou de nouvelles relations avec l'industrie», déclare Burak Cakmak, PDG de la SFC, dans une interview accordée à Luxury Tribune, ajoutant qu'à partir de l'année prochaine, des créateurs du monde entier seront invités à participer à l'événement.

100 marques saoudiennes au salon White Milano (White Milano)

Aujourd'hui, nous avons de solides institutions d'enseignement de la mode en Arabie saoudite

Arwa AlAmmari, ambassadrice de l'Arab Fashion Council et fondatrice d'ArAm Designs

Dans le cadre de l'objectif "Vision 2030" visant à dynamiser et à diversifier son PIB non pétrolier, le ministère saoudien de la culture a créé, il y a trois ans, une commission spéciale chargée de la mode, afin d'encourager la croissance des talents et de la production locale dans les domaines de l'habillement, de la chaussure, de la maroquinerie et de la joaillerie. Un an plus tard, la commission a lancé un programme de mentorat, le Saudi 100 Brands, qui aide une sélection de marques locales à bénéficier d'une exposition commerciale mondiale à Londres, Paris et Milan, pendant les semaines de la mode. White Milano, un salon populaire organisé en marge de la semaine de la mode de Milan, présente depuis l'année dernière des collections de prêt-à-porter de marques saoudiennes choisies par le Saudi 100 Brands. «Les conceptions contemporaines et les matériaux de la plus haute qualité des marques saoudiennes les rendent attrayantes pour les meilleurs acheteurs internationaux. De plus, les collections ont un très bon rapport qualité-prix», explique Brenda Bellei, PDG de White Milano.

La place de l'Arabie saoudite dans le monde de la mode

Le mannequin Eva Herzigova porte une création ArAm designs lors d'un événement organisé par Vanity Fair à l'occasion de la cérémonie des Oscars 2023 (ArAm)

Cette année, en juillet, le créateur saoudien Mohammed Ashi, basé à Paris, est devenu le premier créateur de la région du Golfe à être invité à la Semaine de la Haute Couture de Paris en tant que membre invité.  À l'instar d'Ashi, une poignée de maisons de couture saoudiennes ont courtisé le marché mondial de la mode, bien avant la création de la SFC. Des créateurs comme Arwa AlAmmari ont présenté leurs collections de prêt-à-porter aux semaines de la mode de Dubaï, Londres et New York. D'autres, comme Honayda Serafi et Yousef Akbar, dont les créations ont été portées par les célébrités Priyanka Chopra, Sharon Stone, Nicole Kidman, Alicia Keys et Chrissy Teigen, sont déjà en stock chez Harrods, à Londres.

Le CCG (le Conseil de coopération du Golfe) est un grand marché de la mode et il y a une lacune notable dans la demande de silhouettes culturelles que les marques étrangères ne peuvent pas combler

Arwa AlAmmari, ambassadrice de l'Arab Fashion Council et fondatrice d'ArAm Designs

Arwa AlAmmari, ambassadrice de l'Arab Fashion Council et fondatrice d'ArAm Designs, affirme que l'écosystème de la mode est en train de changer dans le royaume du Golfe. Auparavant, les étudiants en design devaient quitter l'Arabie saoudite pour trouver de bonnes écoles de mode, «mais aujourd'hui, nous avons de solides institutions d'enseignement de la mode en Arabie saoudite. Il existe de nombreux programmes de mentorat, notamment ceux lancés par la SFC et Alula pour aider les talents locaux à comprendre les nuances de la gestion d'une entreprise et à se préparer aux acheteurs potentiels. De nouvelles zones de production et de nouvelles réglementations visant à soutenir les talents locaux sont également à venir», explique-t-elle à Luxury Tribune depuis Riyad.

Collection chez Harrods London de la marque Honayda (Honayda)

Arwa AlAmmari a déjà participé à la plupart des grandes semaines de la mode mondiale. Alors pourquoi ressent-elle le besoin de participer à la nouvelle semaine de la mode de Riyad ? En quoi cela stimule-t-il sa marque? « Le CCG (le Conseil de coopération du Golfe) est un grand marché de la mode et il y a une lacune notable dans la demande de silhouettes culturelles que les marques étrangères ne peuvent pas combler, mais que les créateurs locaux peuvent faire», répond-elle, ajoutant que la plupart des semaines de la mode mondiales positionnent les collections autour des quatre saisons qui ne coïncident pas forcément avec les principales saisons de shopping au Moyen-Orient - comme le Ramadan et d'autres moments-clés de l’année.

La marque saoudienne ArAm crée une collection pour la Semaine de la mode de Londres 2023 (ArAm)

Pourquoi la production de mode locale est cruciale pour l'économie de l'Arabie saoudite

Auparavant, nous avions l'habitude d'importer ces matériaux. Le label Made in Saudi est désormais très important pour nous

Arwa AlAmmari, ambassadrice de l'Arab Fashion Council et fondatrice d'ArAm Designs

Si l'Arabie saoudite veut vraiment alimenter son économie future avec des secteurs non pétroliers, la croissance de la production locale de mode devra être un domaine clé. Jusqu'à présent, le pays dépend largement de l'importation de produits finis pour répondre à la demande locale croissante, ce qui entraîne un déficit commercial important. L'Arabie saoudite a vu ses importations de vêtements augmenter de 42 % entre 2012 et 2021, alors que ses exportations n'ont progressé que de 11 %. «Le système commercial ouvert du Royaume, la connectivité mondiale du marché et les défis locaux en matière de coûts et de compétences» sont les principales raisons de ce déficit commercial, selon un rapport sur l'état de la mode en Arabie saoudite publié cette année. Le gouvernement local semble vouloir réduire ce déficit commercial en priorité, car les ventes de mode au détail (tous segments confondus) dans le pays devraient atteindre 32 milliards de dollars d'ici à 2025.

Défilé White Milano organisé pendant la semaine de la mode de Milan en association avec 100 marques saoudiennes (White Milano)

Outre la reconquête de son marché intérieur, le Royaume souhaite également renforcer son rôle dans la chaîne d'approvisionnement mondiale. La Suisse, la France et les Émirats arabes unis ont été les principaux importateurs de mode en provenance d'Arabie saoudite en 2021. La Suisse et la France ont importé collectivement des articles de mode d'une valeur estimée à 447 millions de dollars américains. Près de 98 % d'entre eux étaient des bijoux, la contribution de l'habillement étant faible, voire inexistante. Une lacune que la Commission saoudienne de la mode espère combler grâce à une série d'initiatives lancées récemment. «Pour encourager les entreprises de l'écosystème de la mode, y compris les créateurs, à s'installer en Arabie saoudite, nous avons écouté leurs besoins, explique Burak Cakmak, PDG de la SFC. Grâce à l'innovation, nous facilitons les affaires comme jamais auparavant, ce qui a un impact positif sur les réglementations, la durabilité, la recherche et le développement.»

Au début du mois d’octobre, la SFC a organisé une tournée d'investissement à New York, au cours de laquelle la marque saoudienne de vêtements de ville 1886 et la marque de luxe Abadia ont obtenu des investissements de Turmeric Capital, une société de capital-investissement axée sur les consommateurs. À la fin de l'année 2023, la SFC a pour objectif de lancer un studio de développement de produits, le premier du genre, à Riyad, où les designers pourront créer des prototypes afin d'accélérer l'entrée sur le marché. Une grande école saoudienne a également mis en place un centre de recherche sur les matériaux durables afin de concevoir des tissus polymères durables. «Les marques locales comme la nôtre investissent également dans des machines spéciales pour l'impression et la broderie. Auparavant, nous avions l'habitude d'importer ces matériaux, explique Mme AlAmmari. Le label Made in Saudi est désormais très important pour nous.»

Références

  • 1

    Alula est une ancienne ville d'Arabie Saoudite célèbre pour ses sites archéologiques. La Commission royale d'Alula est en train de développer de nouvelles infrastructures, notamment de nouveaux studios de cinéma. Au début de l'année, Alula s'est associée au British Fashion Council pour présenter des créateurs saoudiens à la semaine de la mode de Londres.

  • 2

    CCG - Le Conseil de coopération du Golfe est une union régionale, intergouvernementale, politique et économique regroupant l'Arabie saoudite, Bahreïn, les Émirats arabes unis, le Koweït, Oman et le Qatar.

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