Art & Design

Louise Bonnet, artiste suisse monumentale au succès foudroyant

Isabelle Campone

By Isabelle Campone18 janvier 2024

L’artiste basée à Los Angeles est, avec Urs Fischer, la seule Suissesse à être représentée par Gagosian, la galerie mastodonte fondée par le marchand le plus puissant de l’art contemporain. Elle vient d’exposer à New York une série de nouveaux tableaux monumentaux, sans aucun doute un échelon supplémentaire dans sa carrière fulgurante.

L'œuvre  "Pisser Triptyque" de Louise Bonnet, créée pour la Biennale Internationale d'Art de Venise, achetée par le Moderna Museet à Stockholm en Suède, où elle peut être admirée aujourd'hui (Louise Bonnet - Gagosian)

L’exposition solo de Louise Bonnet 30 Ghosts, terminée le 23 décembre à New York à la galerie Gagosian, était la quatrième en trois ans, et comme celle de Hong Kong, de Bâle ou de New York (déjà en 2020), tout a été entièrement vendu dès l’ouverture. Des œuvres de large format qui se vendent pour des centaines de milliers de dollars. De quoi faire l’objet de portraits et d’interviews dans The New Yorker, Artforum ou Hypebeast, surtout après sa participation à la Biennale de Venise de l’an dernier, dans The Milk of Dreams, la grande exposition thématique inspirée par l’artiste surréaliste Leonora Carrington. L’un des trois axes de la manifestation était la représentation des corps et leurs métamorphoses, sujet central chez Louise Bonnet, dont les peintures aux accents surréalistes représentent des corps distendus et grotesques. Elle explore sans cesse l’expérience d’habiter un corps au fil de ses personnages aux membres engorgés, aux têtes minuscules, aux seins coniques, aux appendices recourbés et aux visages souvent couverts par des cheveux qui évoquent parfois la forme d’un pénis. À la frontière de l’étrangeté humaine et de la sexualité, ses tableaux sont à la fois comiques et gênants par ce qu’ils révèlent des sentiments qui ne sont pas du corps – la honte, le malaise, le voyeurisme.

Portrait de l'artiste Louise Bonnet dans son studio à Los Angeles, aux États-Unis (Louise Bonnet - Photo : Jeff McLane Courtesy of the artist and Gagosian)

Louise Bonnet est devenue en quelques années l’une des artistes les plus recherchées. Comme l’a écrit l’écrivaine Miranda July: «Louise Bonnet peint des formes et de personnages ronds, charnus, presque obscènes, mais son monde est très propre et convivial, donc il y a cette tension entre l’innocuité et la perversion qui est totalement troublante… On se dit: “Oh, peut-être que c’est juste moi.”»

La cote des femmes artistes décolle

L'oeuvre "Figure Holding an Orange" de Louise Bonnet (Louise Bonnet - Photo: Ed Mumford Courtesy the artist and Gagosian)

La carrière de la Genevoise a explosé à une vitesse folle depuis sa première exposition de groupe en 2015. Ses œuvres ont été acquises par plusieurs musées et collections publiques dans le monde, tels que le Lacma et le Moca à Los Angeles, le Long Museum à Shanghai, le ICA de Miami, le Moderna Museet à Stockholm et le MAMCO à Genève. Aux enchères, le prix médian de ses tableaux atteint 289 000 dollars, toujours au-dessus des estimations avec un record de 738 345 dollars chez Sotheby’s à Hong Kong fin 2022. En mai dernier, une vente d’art du XXIe siècle chez Christie’s contenant assez peu d’œuvres a réussi à atteindre 100 millions de dollars en grande partie grâce à la performance des artistes femmes, dont la peintre suisse. Un même acheteur a acquis dans la soirée son Interior with Orange Bed de 2021 pour 403 200 dollars; une Miriam Cahn, autre artiste suisse reconnue, pour 176 400 dollars, et une Danielle McKinney pour un peu plus de 200 000 dollars.

Sa carrière n’a pourtant véritablement commencé qu’en 2014, lorsque la quadragénaire, qui avait commencé à peindre en 2008, s’est mise à la peinture à l’huile. «À ce moment-là, je me suis dit que je me donnais six mois pour que ça marche ou j’arrêtais. Quelqu’un m’a dit: tu devrais essayer, tu parviendras mieux à faire ce que tu essaies de faire qu’avec l’acrylique», raconte-t-elle. C’est la révélation et en 2016 aura lieu sa première exposition solo chez Nino Mier à Los Angeles, la ville où elle était venue pour un an en 1994, peu après la fin de ses études d’illustration à la HEAD, et qu’elle n’a jamais quittée. Lors de cette expo, Nino Mier vendra toutes les toiles, et aujourd’hui, moins de dix ans après avoir failli tout laisser tomber, la cote de Louise Bonnet est plus élevée que celle de la plupart des artistes suisses reconnus internationalement et dont les parcours plus longs les font exposer dans les plus grands musées, comme Thomas Hirschhorn, Ugo Rondinone, Pipilotti Rist, Roman Signer, Pamela Rosenkranz ou Miriam Cahn. Seul Urs Fischer, autre star de Gagosian, a une cote plus élevée que la Genevoise, dont la réussite si rapide fascine.

Vue de l'exposition "30 Ghosts" de Louise Bonnet, à la galerie Gagosian à New York (Louise Bonnet - Photo : Rob McKeever Courtesy Gagosian)

Forcément, exposer chez Larry Gagosian ouvre la voie vers un succès certain. S’il représente un artiste, celui-ci est un investissement garanti, la preuve avec cette liste impressionnante d’artistes: Cy Twombly, Roy Lichtenstein, Walter de Maria, Ed Ruscha, Anselm Kiefer, Helen Frankenthaler, Zao Wou-Ki et bien d’autres. Suivis de John Currin, Duane Hanson, Richard Prince, Sterling Ruby, Damien Hirst, Takashi Murakami et autres poids lourds. Bref, une consécration et un phénoménal propulseur… qui s’intéresse généralement à des artistes dont le pouvoir commercial est déjà établi. S’il est indéniable que l’effet Gagosian a fonctionné pour Louise Bonnet, il ne fait que prouver l’instinct du marchand qui a su sentir venir un phénomène. Fin 2019, Bill Powers organise une exposition de groupe pour la galerie, la première sans grands noms de l’histoire de Gagosian. Domestic Horror inclut des pièces de Louise Bonnet, d’Ewa Juszkiewicz et d’autres artistes femmes peu connues, mais réunies dans un art fort et affirmé, des tableaux figuratifs à l’influence surréaliste. «Quand je lui ai présenté Ewa et Louise, je crois qu’il a aimé que les deux soient des artistes un peu plus âgées et il a eu une réaction immédiate et viscérale, à leur travail.»

L'oeuvre "Lemon and Foot" de Louise Bonnet (Louise Bonnet - Photo: Christopher Burke Courtesy the artist and Gagosian)

Leur peinture se retrouvait dans une sorte de mouvement figuratif, néosurréaliste, que le marchand star allait amener à ses clients richissimes en les faisant toutes les deux rejoindre les artistes de la galerie. Succès immédiat. «Nous avons plus de demandes pour leur travail que nous pouvons satisfaire», dit l’un des directeurs de la galerie. Ce qui tombait bien à un moment où d’autres de leurs artistes voyaient leur cote chuter. Une question d’air du temps et de pertinence culturelle sans doute. Certaines collections montrent la fortune de leurs propriétaires, d’autres leur avant-gardisme. « Je crois que j’ai eu de la chance », dit Louise Bonnet, «je suis arrivée à un moment où je n’avais ni 25 ans ni 80 ans et où beaucoup de gens ont compris que leur programmation manquait de femmes. Et je fais quelque chose qui apparemment correspond à notre époque, ce qui signifie qu’il y aura sans doute un contrecoup à un moment donné. C’est pour ça que je fais ce que j’ai envie de faire, comme ça, ça ne me touchera pas. J’espère juste que je pourrai continuer à en vivre pour ne pas devoir arrêter complètement. Enfin, même si plus personne sur terre ne voulait voir mon travail, je continuerai quand même.»

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