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La sculpture nouvelle génération

Samia Tawil

By Samia Tawil04 juin 2024

Depuis quelques années, le monde de l’art voit émerger des sculpteurs innovant non seulement par les matériaux qu’ils utilisent, mais aussi, et surtout par les thématiques bien ancrées dans notre temps qu’ils abordent, souvent marquées par l’omniprésence de la technologie dans nos quotidiens.

L’œuvre Absorbed by light de Gali May Lucas et Karoline Hinz interroge tacitement les passants nocturnes sur les quais d’Amsterdam (litawards.com)

Plusieurs sculpteurs clés se démarquent aujourd’hui dans le monde de l’art par la force de ce qu’ils parviennent à communiquer au public. Chacun armé de son style et de sa technique toute personnelle, ils semblent former un mouvement qui porte la sculpture vers une nouvelle ère. Celle d’une sculpture qui parle immédiatement, que ce soit en mettant le projecteur sur la technologie et ses impacts, ou plus largement, sur une solitude qu’on nous donne à ressentir dans notre chair. Ces œuvres forment aujourd’hui un palier inédit dans l’histoire de la sculpture, et nous font les témoins d’un art où l’intime et l’aliénation se côtoient.

L’hyperréalisme fascinant de Ron Mueck

Ron Mueck n’aura pas attendu l’émergence du smartphone pour innover. Cet artiste australien sculpte depuis vingt-cinq ans déjà des statues hyperréalistes, aux gabarits hors norme. Après une exposition à la Fondation Cartier pour l’art contemporain de Paris, clôturée en novembre 2023, c’est en jumelage avec la Triennale de Milan que la fondation a remis le couvert en proposant la première exposition italienne de l’artiste, incluant certaines de ses œuvres les plus récentes et les plus impressionnantes.

L’œuvre Mask II, de Ron Mueck, autoportrait sculptant dans une surface creuse la vulnérabilité pourtant si pleine de l’artiste endormi (Ron Mueck, 2001-2002)

Car chacune de ses expositions secoue le milieu de l’art et meut profondément le public, tant ses personnages, qui paraissent presque de chair et de sang, fascinent. Des veinules les plus subtiles, aux cheveux les plus fins, tout y est. Oui, Ron Mueck a en quelque sorte la capacité de recréer l’humain. Mais c’est très volontairement qu’il propose des statues d’une taille tantôt bien plus grande que l’humain, rendant son importance à ces êtres parfois mis au second plan; tantôt sous-dimensionnées, soulignant alors la fragilité du personnage présenté. Des personnages pour la plupart nus. Seuls. Presque interrompus dans leur rapport à eux-mêmes, ce qui renforce ce sentiment qu’a le public d’interférer impudiquement dans un instant privé, empreint d’une vulnérabilité presque gênante. C’est ce que l’on ressent devant son œuvre Mask II: un autoportrait de l’artiste endormi, que l’on observe à pas de loup comme s’il risquait de se réveiller à tout instant.

Sa sculpture d’un bébé géant intitulée It’s a girl, semble, quant à elle, nous interroger sur le futur qu’on lui réserve. Un être frêle, dépendant, mais qui s’impose ici dans toute son importance, comme pour illustrer le poids massif de notre responsabilité envers elle. Le poids massif aussi, de naître fille dans ce monde.

Ron Mueck dans son atelier, peignant sa sculpture de cette couleur chair blafarde, si caractéristique de son travail (Gautier Deblonde, 2013)

Sa sculpture monumentale Pregnant woman, quant à elle, fait l’événement en Australie depuis le 13 avril dernier, dans le cadre d’un partenariat entre la National Gallery of Australia et la Maitland Regional Art Gallery, qui se voit confier cette œuvre pour dix-huit mois. La directrice Gerry Bobsien déclare: «Nous sommes très enthousiastes d’accueillir cette œuvre d’un des artistes australiens les plus accomplis internationalement. Nous la présentons en conversation avec notre propre collection […]. Cela aura un impact énorme sur l’affluence régionale.» Une sculpture qui met elle aussi le projecteur sur la maternité, et donne à voir l’intime et l’émotion toute personnelle d’une mère faite géante, et qui sera le bon prétexte à des débats et discussions organisés à la MRAG autour de sa présence. Et c’est bien là la démarche de Ron Mueck: redonner sa place centrale à ces individus, capturés dans des scènes quotidiennes qui pourraient paraître banales et qui sont pourtant remplies d’une essence sacrée qu’on ne sait parfois plus voir.

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