«J’ai créé La Voie Parfum comme un langage olfactif»
Dans le cadre de notre série sur les nouveaux entrepreneurs du luxe, Coralie Chappat se présente comme l’alchimiste des fragrances. Au travers d’une suite d’expériences sensorielles originales, le parfum sur mesure qu’elle propose se veut révélateur de la "part cachée" de chacun. Explications.
Choisir un parfum sur mesure n’est jamais un voyage sensoriel anodin. Si l’ultime luxe en matière de haute parfumerie est de s’offrir un «portrait olfactif», nombreuses sont les maisons établies qui aujourd’hui proposent cette prestation. En quelques heures, et pour des prix dépassant souvent le millier de francs, les parfumeurs composent votre jus. Ici, la démarche est autre. Celle que Coralie Chappat propose est un chemin intérieur qui révèle la part cachée de celui qui en est le commanditaire. La Voie Parfum propose au client d’accéder à son essence, et de condenser dans une fiole l’émanation de lui-même. Un pari un peu fou qu’elle a entrepris de relever, en créant sa marque Coralie C. Cette Parisienne aujourd’hui installée à Nyon, en Suisse, chercheuse en sciences sociales spécialisée dans les principes au cœur de l’esthétique du Moyen Âge japonais, s’est formée à Grasse. Pendant quatre ans, elle y a appris le métier de parfumeur, qu’elle poursuit ensuite au contact d’un nez chez Firmenich. Également formée en astropsychologie, elle acquiert un ensemble de connaissances vaste et singulier à la fois.
La démarche demande de l’engagement de la part du client, car l’accompagnement que Coralie propose se déroule sur plusieurs mois, une différence de taille par rapport aux parfumeurs habituels. Le prix pour le parfum sur mesure? Plus de 40 000 euros. Un luxe extrême qui s’adresse à une clientèle très fortunée, souvent asiatique ou moyen-orientale. Pour ceux qui seraient tout de même tentés par l’aventure olfactive intérieure, un Fragment de la Voie Parfum vient d’être créé. En quelques heures (2000 euros), le processus complet, mais beaucoup plus succinct permet déjà de pénétrer ses propres mystères enfouis.
En quoi consiste votre méthode pour créer un parfum sur mesure?
La Voie Parfum est un protocole unique qui suit trois lectures. Tout d’abord le thème astrologique, un processus classique qui permet de renseigner sur la singularité de chacun, sur l’inné, les patterns, l’environnement. Puis l’on passe à l’identité paysagère, celle du véritable soi, un concept que j’ai créé qui permet de se livrer, sans référence ni repère en s’immergeant dans le paysage en peinture. Puis, la troisième étape est la connexion olfactive par les matières.
Expliquez-nous cette identité paysagère.
L’identité paysagère est un concept que j’ai créé et qui, à l’instar des empereurs du Moyen Âge chinois, emmène la personne dans un landscape, pour regarder son propre paysage. Je demande de choisir parmi huit vues de la Xiao et de la Xiang. Une connexion avec la nature va alors se faire. Je vais le questionner sur ce qu’il y voit, le guider à travers le paysage dessiné devant lui. En s’immergeant dans le paysage, celui-ci va le renvoyer à sa propre lecture. Par le ShanShui, art chinois du IVe siècle de la peinture de paysage de la Xiao et de la Xiang, la découverte émotionnelle se précise. En troisième lecture, je choisis des matières que je fais sentir. Mon travail consiste en l’interprétation de toutes ces informations et en l’identification du soi ou des désirs enfouis.
Quelles sont ces matières?
Les matières olfactives sont sélectionnées pour leur qualité exceptionnelle et se composent soit d’extraits naturels soit d’extraits de synthèse afin de restituer les notes les plus subtiles. Mon fournisseur principal est à Grasse, mais je travaille également beaucoup avec le Japon, où j’ai vécu plusieurs années, pour certaines essences de bois, tel que le Hinoki. J’ai créé un langage olfactif en résonance avec les KIGO ou «mots de saisons» dans la poésie japonaise. Il faut savoir que nous possédons tous 350 capteurs reliés à l’odorat, les seuls neurones en contact direct avec l’extérieur. Lorsque l’on sent un parfum, c’est une émotion qui se joue, mais il n’y a pas d’odeur, car la molécule ne sent pas, ce sont les émotions et le cerveau limbique qui y sont associés qui interprètent une odeur. On aime ou on n’aime pas, mais c’est notre historicité liée à ce qu’on a vécu qui parle. Un parfum n’a pas d’odeur. Déjà in utero, le fœtus construit son capital olfactif dans le ventre de sa mère. Imaginez-vous à quel point ce sens est fondamental, un spermatozoïde porte déjà un capteur olfactif.
À quoi doit servir un parfum, selon vous?
Il doit servir à révéler qui vous êtes et non celui qui l’a créé. C’est ce que l’on donne à voir. Lorsque la personne choisit des matières olfactives, je lui demande de mettre des mots sur ce qu’elle sent. Ils sont le fil rouge du travail de création du parfum, car on ne parle que par l’émotion. J’ai créé la méthode de la Voie Parfum, car la finalité est de trouver ce qui a été occulté dans notre chemin de vie. L’idée est de travailler sur notre part manquante, et de la faire émerger au fil des trois lectures. C’est notre mystère, une dimension qui peut nous échapper. À travers la Voie Parfum, on accède à ses désirs les plus enfouis. Mais il est important de préciser que mon approche est esthétique et non thérapeutique. J’encapsule le désir enfoui, caché dans la formule du parfum. Lorsque l’on porte le parfum, c’est comme une injonction à la réalisation du désir.
Quel a été le catalyseur de la création de la Voie Parfum?
Toute cette aventure a commencé il y a plus de trente ans, lorsque j’ai découvert le Man’yōshū, la première anthologie de waka et de poésie japonaises datant du VIIIe siècle. J’ai compris la notion de «confier sa pensée aux choses», une façon de s’immortaliser, de signer sa finitude, en investissant, en habitant les objets de ses émotions et sentiments.
À qui s’adresse votre méthode?
Mes clients actuels sont aisés, et possèdent à peu près ce qu’ils veulent. Ils recherchent l’inexploré. Je leur propose un «au-delà» d’eux-mêmes, quelque chose qu’ils n’ont pas.
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