Art & Design

Giorgio de Finis: «L’art est trop souvent excluant»

Bettina Bush Mignanego

By Bettina Bush Mignanego30 novembre 2021

Lorsqu’en 2018, Giorgio de Finis, anthropologue, réalisateur et artiste, a inauguré son projet «Macro Asilo» au musée d’art contemporain de Rome, beaucoup ont compris qu’il s’agirait d’un événement révolutionnaire et expérimental. Rencontre

Giorgio de Finis est le directeur artistique du MAAM - Museo dell'Altro e dell'Altrove di Metropoliz, le troisième plus grand musée d'art contemporain de Rome (Giorgio de Finis)

Les attentes n’ont pas été déçues. En quatorze mois d’activité intense, le projet «Macro Asilo» (Marco Garderie) a enregistré 330 000 entrées, accueilli 2000 artistes, 400 tables rondes et près de 200 lectio magistralis et ateliers. Des événements placés sous le signe de l’inclusion, du respect de la diversité et de la participation, des thèmes que l’on retrouve également dans l’Agenda 2030 des Nations Unies, et qui ont donné vie à un musée comparable à un grand organisme vivant, accueillant comme un jardin d’enfants, ouvert à tous. Mais en décembre 2019, le «Macro Asilo» a fermé ses portes, avec deux ans d’avance. Depuis, Giorgio de Finis se consacre à d’autres projets innovants, dont le «Festival delle Periferie», en mai dernier, un événement organisé sur trois jours, avec des rencontres, des performances et des vidéos en mode phygital. Ce festival s’est appuyé sur la formule de Giorgio de Finis du musée du futur, que l’on pourrait définir comme une entité qui se concentre sur les relations entre les personnes, sans aucune exclusion, pour une collaboration entre les connaissances et les disciplines, dans le but de construire une ville plus vivable à travers l’art. 

Pour comprendre cette idée du musée du futur, Giorgio de Finis a accepté de répondre à nos questions.

Vous refusez que l’on vous définisse comme un directeur de musée classique. Pourquoi?

Selon les occasions, je me vois comme un réalisateur, un anthropologue, mais en réalité je traite du même sujet: l’homme

Giorgio de Finis

À travers ses projets, Giorgio de Finis forge une nouvelle rencontre entre les artistes et la ville, entre l'art et la société (DR)

Selon les occasions, je me vois comme un réalisateur, un anthropologue, un artiste, mais en réalité je traite du même sujet: l’homme, devenu depuis longtemps un humain urbain. Je me définis comme un artiste lorsque je fais référence au film documentaire que j’ai réalisé en 2011 Space Metropoliz, à la fois polémique et poétique, racontant la construction d’un vaisseau spatial pour emmener les exclus sur la lune. Le tournage du film a eu lieu dans l’ancienne usine de saucisses Fiorucci de Via Prenestina, un quartier de la banlieue de Rome, occupé en 2009 par une soixantaine de familles, travailleurs temporaires, migrants et Roms. À la suite de cela, un projet artistique a été lancé, et en 2012 cet espace est devenu le Museo dell'Altro e dell'Altrove, le MAAM, dont je suis actuellement le directeur artistique. Mes projets sont aussi indépendants que ceux d’un artiste; un directeur de musée, en revanche, fait partie d’un mécanisme, suit un cursus particulier et il est choisi par le biais d’un concours. 

Une dizaine d’années sont passées, et aujourd’hui le MAAM est passé d’une ancienne usine, à la troisième place des musées d’art contemporain de Rome, après le MAXXI et le Macro. Depuis septembre, l’institution a posé sa candidature pour devenir un site de l’UNESCO. Une provocation?

Pendant ses quatorze mois d’activité intense, le projet «Macro Asilo» (Marco Garderie) a enregistré 330 000 entrées, accueilli 2000 artistes, 400 tables rondes et près de 200 lectio magistralis et ateliers (Agnese Samà)

Aussi. Mais nous devons nous concentrer sur son caractère unique: on y trouve environ 600 œuvres d’art et c’est le premier musée habité de la planète. Il a réussi à court-circuiter le système. Mais depuis 2009, l’espace appartient à Salini Impregilo, et les propriétaires ont demandé à l’État 26 millions d’euros de dédommagement pour ne pas l’avoir nettoyé, il est donc toujours à risque. Au cours de ces années, nous avons impliqué de nombreux artistes et l’art s’est répandu naturellement dans ces espaces, l’objectif a été le réaménagement des espaces abandonnés, et celui de créer une barricade artistique pour défendre les droits des personnes qui n’en ont pas.

Dès 2018, vous acceptez le titre de directeur artistique au Macro, le musée d’art contemporain de Rome, mandaté par l’adjoint au maire de Rome, Luca Bergamo. Vous attendiez-vous à cette nomination?

Je me sens comme un artiste dont le rôle est d’effacer les conventions, ce que l’art devrait toujours faire

Giorgio de Finis

Non. C’est à ce moment-là que j’ai imaginé un projet artistique comme un lieu de vie, où les œuvres seraient réalisées plutôt que conservées, et où les artistes collaboreraient activement et avec le public également. Je me sens comme un artiste dont le rôle est d’effacer les conventions, ce que l’art devrait toujours faire. Nous avons ouvert nos portes en septembre 2018, en offrant une participation artistique à tous ceux qui me présentaient un projet intéressant. Les artistes se sont, en quelque sorte, autocandidatés. J’ai cherché une façon d’ouvrir l’écosystème de l’art, trop souvent excluant. En tant qu’anthropologue, je veille à ce que l’art soit inclusif et participatif. Par exemple, pour le projet «Macro Asilo», tout le monde a pris part à la construction d’un espace commun de l’art. De plus, les entrées étaient gratuites. Notre projet n’accueillait pas d’expositions, trop dépendantes des galeries. Notre budget ne nous le permettait pas non plus, nous ne disposions que de 400 000 euros pour quinze mois.

Vous avez réussi à faire venir des artistes et des personnalités culturelles de renom, comme Matteo Pistoletto, Stefano Boeri, Massimo Cacciari, Lia Rumma, Daniel Buren. Puis, en décembre 2019, le projet «Macro Asilo» a soudainement pris fin. Que s’est-il passé?

Lorsque le projet "Macro Asilo" a soudainement pris fin après deux ans, Giorgio de Finis n'a pas perdu de temps et a commencé à travailler sur son nouveau projet: le Museo delle Periferie (Silvia B. Rutti)

C’était une machine qui tournait à plein régime, j’aurais dû rester deux ans de plus, ça ne s’est pas passé comme ça. La justification était celle d’un directeur artistique auquel on aurait attribué son cahier des charges sans avoir remporté d’appel d’offres; il s’agissait probablement d’un projet inconfortable, peu populaire auprès des institutions. Une fois le «Macro Asilo» terminé, j’ai travaillé sur le nouveau Museo delle Periferie (RIF), dans la zone de Tor Bella Monaca, à Rome, en dehors du gran raccordo anulare, pour étudier les banlieues, pour donner de la dignité aux lieux moins centraux de la ville, et pour créer une ville plus juste, plus participative et inclusive, née de l’expérience du «Macro Asilo». Au RIF, nous nous occupons de toutes les périphéries du monde, et nous créons des projets relationnels avec l’art, pour recoller les morceaux brisés des villes du troisième millénaire. Le fait de rendre la ville aux gens m’intéresse, en cela je me sens comme un anarchiste libertaire.

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