Innovation & Savoir-faire

Boycott de diamants russes ou pénurie de composants, les rouages complexes qui attendent l’horlogerie et la joaillerie en 2022

Cristina D’Agostino

By Cristina D’Agostino07 avril 2022

Si les rendez-vous horlogers de la place genevoise ont fait le plein, portés par une industrie gonflée par des mois de records financiers, quels sont les enjeux qui attendent désormais les dirigeants des marques dans un monde saturé d’incertitudes?

Watches and Wonders a réuni les grands noms de l'industrie horlogère et du luxe du 30 mars au 5 avril 2022 à Geneva Palexpo.(FONDATION DE LA HAUTE HORLOGERIE/KEYSTONE/Cyril Zingaro)
Cette année, Hermès a présenté la GMT au salon Watches & Wonders. (Hermès)

Aujourd’hui désertes, les allées de Watches & Wonders résonnent encore des franches accolades et des grands discours. Vidées de leurs trésors à peine dévoilés, mais remplies des promesses de commandes échangées, les marques affrontent désormais l’urgence des lendemains qui chantent: la livraison des composants. Là où les stratégies industrielles les plus avancées feront sans aucun doute la différence, les sous-traitants de l’industrie sont sous haute tension. Grands groupes comme petites marques indépendantes jouent gros: honorer les commandes, le plus vite possible, tant que la situation économique est au plus haut. Cette urgence, Jean-François Mojon, administrateur de Chronode SA au Locle, rencontré sur le stand de la marque Cyrus, l’une des enseignes pour laquelle il livre les mouvements horlogers, l’explique: «Nous produisons passablement de complications horlogères que vous pouvez admirer chez certaines marques. Le tourbillon vertical ou le double chronographe de la marque Cyrus et le GMT présenté cette année par la maison Hermès sont certaines réalisations parmi beaucoup d’autres auxquelles nous sommes fiers de nous associer. Notre métier est d’innover et d’être capables de réaliser des garde-temps de l’étude de projets techniques à la production de montres en série. Nous ne fabriquons pas de composants, il est donc primordial pour nous d’y avoir accès. Les pénuries auxquelles nous devons faire face depuis quelques mois sont un grand dilemme pour toute l’industrie.»

L’obligation de livrer rapidement

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Watches & Wonders permet d’avoir un point de vue et une perspective sur l’horlogerie. La mise en scène y est aussi importante que la proposition

Cyrille Vigneron, CEO et président de Cartier International

La marque Cartier expose depuis les débuts de la création du salon horloger de Genève (FONDATION DE LA HAUTE HORLOGERIE/KEYSTONE/Cyril Zingaro)

Car, sur ce point, la plupart des marques exposantes sont unanimes, l’édition du salon Watches & Wonders a été un succès et ce grand rendez-vous doit se poursuivre. Un point diffère pourtant, la portée commerciale d’un tel événement. Pour Cyrille Vigneron, CEO et président de Cartier International, «Watches & Wonders permet d’avoir un point de vue et une perspective sur l’horlogerie. La mise en scène y est aussi importante que la proposition. Même si le rendez-vous ne représente pas pour Cartier un enjeu de ventes important - depuis deux ans, la pandémie avait empêché la tenue du salon et malgré tout, nous n’avons jamais aussi bien vendu – c’est un réel plaisir d’y participer.»

À l’opposé, Walter Ribaga, directeur général de la marque Cyrus Genève, exposant pour la première fois au sein du carré des horlogers de Watches & Wonders, l’affirme: «La différence dans la prise de commande est notoire entre ce que nous vivions à Baselworld et ce que nous avons enregistré à Palexpo. Nous avons vendu en quelques jours un nombre de pièces record, sans compter les nouveaux points de vente que nous avons réussi à séduire. Maintenant, le plus difficile reste à faire. Si nous voulons transformer ce momentum en succès commercial, nous sommes dans l’obligation de livrer rapidement, sinon l’intérêt va s’étioler. La pénurie de composants vient passablement compliquer nos affaires.» Chez Czapek, marque indépendante relancée en 2012 dont la production de montres ne dépassera guère 800 montres en 2022, témoigne également d’un optimisme certain, tempéré par la peur de ne pas pouvoir livrer. «Si l’entier des modèles Antarctique chronographe avait trouvé preneur l’an passé en vingt-quatre heures, cette année, la version 2022 a été vendue en quelques minutes, raconte Valeria Garavaglia Perdoni, PR manager de la marque. Pour éviter que nos modèles se retrouvent sur le marché spéculatif, nous ne vendons la montre que si le vendeur annonce un client final. Tout va désormais se jouer dans la livraison des composants que nous attendons pour commencer la production.»

Pour les marques des grands groupes de luxe, dont l’outil industriel est désormais intégré depuis bientôt deux décennies, la chaîne d’approvisionnement subira moins de tensions, même si la pénurie de matières premières et l’augmentation des prix liés aux coûts énergétiques des métaux comme l’acier (le prix de la tonne était établi à 900 francs en avril 2021 et à 1540 francs en 2022) ou le nickel (le prix du nickel dépassait les 100 000 dollars la tonne en mars 2022) seront un problème certain pour les maisons de luxe. Si la guerre en Ukraine et les sanctions qui pèsent sur la Russie sont en partie liées à ces pénuries et hausses de prix, les répercussions des coûts seront marginales, mais lisibles sur les prix finaux des montres et des bijoux affichés en boutique. Beaucoup moins marginales, les répercussions du boycott des diamants provenant de Russie sur les prix seront tout autres.

Le boycott des diamants russes va provoquer une pénurie à court terme

De nombreuses maisons de joaillerie ont cessé de s'approvisionner en diamants en provenance de Russie (Shutterstock).

Les annonces des grandes maisons joaillières se sont d’ailleurs succédé pendant Watches & Wonders. Certaines, à l’image des marques du groupe Richemont, de Gucci, de Saint-Laurent, de Pandora et, plus récemment, de l’entreprise belge Wouters & Hendrix ont stoppé net tout approvisionnement en diamants provenant de Russie et communiqué leur retrait immédiat du Responsible Jewellery Council (RJC), l’organisme qui veille à l’impact éthique sociétal et environnemental du commerce international des diamants. La confiance dans l’institution n’y est plus, ont-elles toutes confirmé, malgré le retrait volontaire du géant russe de diamants Alrosa, dont le chiffre d’affaires avait doublé en 2021 pour atteindre 4,3 milliards de dollars. D’autres maisons, à l’instar de Tiffany, de Chanel ou de Chopard, ont préféré uniquement communiquer sur l’arrêt complet de leur approvisionnement en diamants provenant de Russie.

Récemment, les marques ont commencé à faire face à une pénurie de composants (FONDATION DE LA HAUTE HORLOGERIE/KEYSTONE/Cyril Zingaro)

Quel est l’impact d’un tel boycott pour des maisons joaillières plus confidentielles? Contactée, la maison parisienne Akillis, fondée par Caroline Gaspard en 2007 répond : «La société Akillis ne travaille qu’avec des diamantaires parisiens dont les approvisionnements en brut ne proviennent plus de Russie (nos pays d’approvisionnement étant l’Afrique du Sud et le Canada) et dont les process de traçabilité permettent de garantir l’origine des diamants de la mine au produit fini. Une revue tarifaire s’opère actuellement sur l’ensemble du catalogue vu les augmentations des métaux précieux et des pierres sur le premier trimestre 2022 (avant le début du conflit). Concernant les diamants, nos diamantaires nous garantissent ces nouveaux tarifs au moins, jusqu’à la fin du premier semestre 2022.»

La joaillerie ne consomme que 4  % des diamants produits

Cyrille Vigneron, CEO et président de Cartier International

Les diamants utilisés par l’industrie du luxe représentent une infime partie de la production mondiale. «La joaillerie ne consomme que 4  % des diamants produits, explique Cyrille Vigneron lors d’un tour de table organisé avec quelques représentants de la presse. Le marché va se rééquilibrer, car d’autres pays comme l’Afrique du Sud, le Lesotho, le Botswana, le Canada ou l’Australie sont également des fournisseurs de diamants. Cependant, à court terme, il y aura une pénurie. La problématique est principalement liée à leur traçabilité. Les diamants de centre ont un certificat d’origine. Les diamants mêlés n’en ont pas. C’est la raison pour laquelle nous avons préféré arrêter tout approvisionnement. Nous allons désormais prendre le temps d’analyser et de questionner tous nos fournisseurs pour voir qui accepte de rendre effective cette traçabilité. Alors que jusqu’à aujourd’hui, ce que l’on appelle les site holders ne voulaient pas faire cette distinction, l’industrie sera obligée de le faire. Pour l’heure, nous avons suffisamment de stocks pour les quatre mois à venir. Ensuite, le tri auprès de nos fournisseurs aura été effectif et nous pourrons poursuivre nos commandes.»

La capacité d’adaptation sera la clé

Les maisons de luxe ont dû s'adapter à la grande volatilité que le monde a connue ces dernières années. (FONDATION DE LA HAUTE HORLOGERIE/KEYSTONE/Cyril Zingaro)

On le voit, la capacité d’adaptation des maisons de luxe sera encore une fois centrale dans la poursuite de la bonne marche des affaires qui caractérise le secteur depuis deux ans. La pandémie et le conflit en Ukraine sont autant d’épreuves qui continuent de perturber l’économie mondiale. «L’échéancier est plus ouvert qu’avant, et la prise de commande plus instantanée, confirme Cyrille Vigneron, patron de Cartier. La volatilité du monde nous l’impose. Nous gérons le déploiement des produits en fonction de la dynamique des marchés à l’instant T. Le modèle de prévisibilité, de déploiement et de flexibilité industrielle est passé des neuf à douze mois habituels à trois mois. La pandémie et la fermeture des magasins nous ont imposé des variations de volumes oscillant au plus bas à -30% à 100% au plus haut sur une année. La flexibilité industrielle a été la clé et elle s’est répercutée sur les chiffres exceptionnels à la fin du mois de décembre 2021. Nos modèles de prévisions fondés sur des algorithmes puissants d’intelligence artificielle ont été performants. Nous nous y étions préparés depuis cinq ans. Nous avons pu affronter la pandémie et nous sommes prêts à affronter cette crise aussi.»

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