Art & Design

Rétrospective CARTIER au V&A: histoires de puissance en lettres capitales

À Londres, le Victoria & Albert Museum présente jusqu’au 16 novembre une rétrospective flamboyante de Cartier et de ses joyaux commandés au fil du temps par les rois et les puissants. Une mise en lumière de Cartier Londres, une des trois entités de la marque devenue globale avant l’heure.

Le V&A Museum de Londres expose jusqu'en novembre les bijoux des plus grands de ce monde, de Daisy Fellowes (à gauche), au maharaja de Patiala (au centre) ou encore la duchesse et le duc de Windsor (à droite). (Cecil Beaton Archives © Condé Nast/Documentation Cartier Paris/ AGIP / Bridgeman Images)

Au tournant du XXe siècle, la stratégie des frères Louis, Pierre et Jacques Cartier de s’implanter à Paris, à New York et à Londres pour bâtir une marque globale était décisivement visionnaire pour son temps. Inspiré par la période Belle Époque qui témoignait déjà d’un grand essor des arts décoratifs, d’une liberté nouvelle née au cœur des salons littéraires et du goût des voyages tiré des expositions universelles, ce modèle d’une maison de joaillerie pensée à l’échelle transnationale était inédit.

C’est bien cet ensemble d’influences et d’inspirations tirées de leurs voyages à la rencontre des plus grands de ce monde, que le Victoria & Albert Museum choisit de raconter, au fil des galeries du musée, grâce à une scénographie originale en trois parties de l’architecte et artiste anglais Asif Khan. Il réussit, par un travail délicat de la lumière à plonger le visiteur dans une expérience immersive nouvelle et à inciter à admirer les œuvres anciennes ou nouvelles sous toutes leurs facettes. «Mon regard d’architecte, sensible au langage de la lumière, m’a incité à travailler avec celle que les joyaux reflètent», expliquait-il face au public, lors des Art Dialogues organisés au V&A.  Cette première rétrospective de la marque au Royaume-Uni en trente ans, intitulée simplement CARTIER en lettres majuscules, réunit plus de 350 parures, colliers, tiares, objets précieux, montres et pendulettes mystérieuses de la maison depuis sa création en 1847.

La scénographie originale en trois parties de l’architecte et artiste anglais Asif Khan met en lumière de manière spectaculaire plus de 350 objets, dont des bijoux précieux, des pierres précieuses historiques, des montres et horloges emblématiques choisis pour la rétrospective Cartier (Cartier)

Jacques Cartier, aux fondements de l’héritage royal de Cartier

Organisée par le Victoria & Albert Museum de Londres, cette grande exposition retrace l'évolution de l'héritage artistique, du design et du savoir-faire de Cartier depuis le début du XXe siècle (Cartier)

Cette puissance créatrice de Cartier Londres née dès l’ouverture de la première boutique dans la capitale britannique en 1902 est au cœur du propos du V&A. Elle a fait l’objet de toutes les attentions des deux curatrices de l’exposition Helen Molesworth et Rachel Garrahan. À l’inauguration, le 9 avril dernier, quelques jours avant l’ouverture officielle au public, le directeur de l’institution Tristram Hunt expliquait à la presse conviée pour l’occasion: « Très vite après que Cartier s’était établi à Londres au début du siècle dernier, cette prestigieuse maison française fit rapidement part du British way of life. Ce projet est une opportunité de célébrer la Grande-Bretagne comme un centre de la créativité et de l’artisanat, des atouts si importants pour l’éducation aujourd’hui. Avec cette exposition, Cartier symbolise la fusion de toutes les époques et formes de créativités du monde. Elle fait rentrer le design dans le royaume de l’art.»

Tiare réalisée par Cartier Londres en 1937, Cartier Collection (Vincent Wulveryck, Cartier)

Jusqu’en novembre, la rétrospective CARTIER met en scène les plus exceptionnelles pièces de la collection muséale de la maison, mais aussi de nombreux joyaux prêtés par le roi Charles III et divers clients de la marque. Car le destin de Jacques Cartier sera très tôt lié à l’aristocratie. C’est au couronnement d’Edouard VII en août 1902 que 27 tiares seront commandées pour l’occasion à Cartier Londres, un événement déterminant qui propulsera le joaillier dans la cour des lords, des princes, des reines et consorts. C’est ainsi que Cartier obtint le fameux brevet de fournisseur officiel de la famille royale d’Angleterre en 1904. Le précieux Royal Warrant sera plusieurs fois renouvelé, et encore récemment en 2017 par Charles, alors encore Prince de Galles.

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Très vite, Jacques s’est donc intégré à la vie londonienne. Il écrit et parle la langue à ses collaborateurs, épousera une Anglaise. Toute l’aristocratie se presse pour porter les créations de cette maison française dont les ateliers, fait exceptionnel, sont basés à Londres, au premier étage de la boutique de New Bond Street, temple de Cartier Londres, ouverte en 1909. Très originales et avant-gardistes pour l’époque, les parures font sensation dans les salons de la haute société. Il faut dire que les seuls concurrents sur la place sont tous britanniques et à l’esprit plus classique. Contrairement à Cartier New York, ouvert par son frère Pierre Cartier, qui cultivait les racines françaises de la marque et commandait toutes ses pièces aux ateliers rue de la Paix, Cartier Londres façonne son style au contact de l’aristocratie britannique et de ses artisans londoniens, en faisant même un argument de vente sur ses publicités des années 30. 

Cette ère flamboyante de l’aristocratie anglaise aura-t-elle été l’âge d’or de Cartier ? «Cartier Londres a produit de très grandes pièces dans les années 30, il est vrai, répond Pascale Lepeu, directrice de la Collection Cartier. Mais on ne peut pas l’appeler Golden Age, car Cartier a réussi à passer toutes les époques en marquant son temps, et c’est ce qui fait sa force. D’abord la période Belle Époque et son style Guirlandes, puis l’Art déco et ses bijoux très architecturaux, puis il y a la faune et la flore, ensuite les bijoux contemporains. Cette continuité créative est particulièrement parlante dans la vitrine des Tutti Frutti. Je pense que Louis Cartier et Jeanne Toussaint seraient très fiers de la voir, car on y expose des bijoux de ce style de 1925 à 2024 ; ils démontrent cette belle évolution créative, tout comme la vitrine consacrée au thème emblématique de la panthère et ses créations de 1914 à 2014. À aucun moment Cartier ne se répète, car déjà pour Louis Cartier, il était essentiel de «toujours innover, et ne jamais imiter.»

Broche commandée par Jacques Cartier pour son épouse Nelly, Cartier Londres, 1933 (Vincent Wulveryck, Cartier)

Parmi les pièces maîtresses à découvrir au Victoria & Albert Museum, le visiteur pourra admirer la broche Williamson Diamond commandée par la reine Elizabeth II en 1953, sertie d’un diamant Williamson rose rare de 23,6 carats; la tiare Scroll commandée en 1902 et portée lors du couronnement d’Elizabeth II, ainsi que par Rihanna en couverture du magazine W en 2016; une broche en forme de rose (1938) portée par la princesse Margaret lors du couronnement de sa sœur; une broche en améthyste et saphir réalisée par Cartier Londres (vers 1933) et portée par Nelly, l’épouse de Jacques Cartier; la majestueuse tiare Manchester de la collection V&A, réalisée en 1903 pour la duchesse douairière de Manchester, mais aussi une sélection de montres Cartier , dont la montre-bracelet Crash, dessinée par Cartier Londres (1967) en plein Swinging London.

Expansion coloniale et Nouveau Monde font la fortune de la marque

Collier commandé par Sir Bhupindra Singh, Maharaja de Patiala en 1928, Collection Cartier ( Cartier)

Au fil des vitrines de l’exposition, le bijou, symbole de puissance prend ici tout son sens. Hormis la royauté anglaise, c’est aussi l’expansion coloniale britannique qui fera la fortune de Cartier. En effet, dès 1911, Jacques est bien inspiré de partir pour un périple de trois semaines en mer vers les Indes. Un goût de l’aventure qui servira ses intérêts et ceux de la maison, puisque la même année, le roi Georges V fera lui-même le déplacement la même année pour assister à son Darbar, à Dehli. À cet effet, les maharajas s’empressent de commander à Jacques Cartier les plus grandes parures en vue de la rencontre royale. Le mythique collier du maharaja de Patiala naîtra de cette nécessité de confronter les pouvoirs par l’apparat.

Cette distinction n’est pas le seul apanage des hommes, les femmes elles aussi se jaugent par la flamboyance. Pascale Lepeu raconte: «On ne pouvait pas aller à un dîner avec la reine si on ne portait pas de diadème. Consuelo Vanderbilt raconte, lors d’une de ses nombreuses rencontres avec elle, ne pas avoir eu le temps nécessaire de passer à la banque récupérer son diadème avant le dîner. Elle décida de porter une aigrette; le roi ne manqua pas de lui en faire la réflexion.»

Pourtant, au fil des décennies qui ont ponctué la première moitié du XXe siècle, le bon goût et la bonne société se forgent des deux côtés de l’Atlantique. Si l’aristocratie domine en Grande-Bretagne, la grande bourgeoisie américaine impose son style, façonné par une compétition féroce entre grandes dames. «Les Américaines essayaient de s’inspirer des Françaises et des Anglaises, poursuit Pascale Lepeu. Issues du Nouveau Monde, elles récupéraient tous les attributs de la royauté pour imposer leur pouvoir. Mme Vanderbilt était la reine de New York, et portait des bijoux royaux, de grands diadèmes, des devants de corsage. À Washington, Madame Townsand s’amusait à rivaliser, sur ce point, avec Evalyn Walsh McLean, toutes deux de très importantes clientes de Cartier. Leur apparition était guettée, pour voir qui allait porter quoi.»

Dès les années 50, le bon goût est du côté de l’intelligentsia, et des artistes. De nombreuses actrices et femmes puissantes de l’époque choisissent des emblèmes à la mesure de leur pouvoir. Maria Felix choisit le serpent et le crocodile comme emblème de ses parures, quand Barbara Hutton préfère le tigre. Depuis lors, elles ont été remplacées par de redoutables femmes d’affaires, à l’image de Pansy Ho à Macao, dont la tiare est exposée dans une des vitrines. Pour preuve, les joyaux les plus récents exposés au V&A datent de 2023.

Riche de découvertes exceptionnelles, la rétrospective raconte ainsi comment Cartier a intégré, très tôt, cette conscience d’une globalisation qui allait s’avérer inéluctable.

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By Cristina D’Agostino

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