Stratégie

Luxe et ballet: un saut vers plus de diversité ?

Le monde du luxe, comme celui du ballet, ont toujours été confronté à l’image très élitiste qu’ils renvoient. Alors qu’aujourd’hui la société réclame plus d’inclusivité et d’innovation, ces deux univers doivent faire davantage pour l’évolution des normes. Cet article, rédigé par Meredith Hunter-Mason, est l'un des deux textes gagnants du concours d'écriture développé par Luxury Tribune et adressé aux étudiants en MBA de l'Université IESEG School of Management de Paris et Lille

« Dance Reflections », la toute dernière initiative de Van Cleef & Arpels dans le monde du ballet (Dance Reflections/Van Cleef & Arpels)

L’étroite relation entre luxe et ballet remonte au début du vingtième siècle, lorsque des couturiers se sont inspirés des tenues en tulle des danseurs pour leurs collections et que les Maisons les plus iconiques – Chanel, Dior, Saint Laurent – ont créé des costumes de danse. Cette relation est née dans une recherche commune de prestige et d’élégance et a perduré avec un souci constant d’exclusivité. Les deux univers se sont efforcés d’alimenter un public de connaisseurs dotés d’un fort «capital culturel». A l’époque, la collaboration était concluante, car elle permettait à chacun de mettre en avant son raffinement et son savoir-faire. Pourtant, ballets comme maisons de luxe ont souvent fait l’objet de critiques basées sur la volonté farouche de vouloir perpétuer de vieilles traditions; notamment en faisant l’apologie de la maigreur, en entretenant les stéréotypes sexistes et en masquant la diversité raciale.

Davantage de courage est réclamé

Les costumes de la Maison Chanel du Gala d'ouverture de l'Opéra de Paris (Chanel)

Pour survivre, les marques de luxe ont récemment décidé d’abandonner une vision trop élitiste en apportant de la diversité sur les podiums et en s’inspirant de la mode urbaine. En parallèle, les compagnies de danse ont cherché à rester pertinentes en innovant et en rafraîchissant leurs répertoires. Chaque industrie semble pourtant se heurter à ses propres limites. Les compagnies manquent de moyens financiers pour aller plus loin et les maisons de luxe, même les plus innovantes comme Gucci et Balenciaga, ne peuvent aller vers toujours plus d’accessibilité. Cependant, en travaillant main dans la main, ballet et luxe ont le potentiel de rétablir leur image d’acteurs culturels. Pour les marques, leur rôle de mécène permet de toucher de nouveaux consommateurs sensibles à une autre forme d’expression artistique. Pour les académies de danse, les donations généreuses de ces entreprises les autorisent à prendre davantage de risques avec des spectacles plus avant-gardistes. Ces avantages respectifs rendent les collaborations fructueuses, comme en témoigne le dernier festival de danse Van Cleef & Arpels.

De nouvelles propositions émergent

Sans le joaillier Van Cleef & Arpels, «Dance Reflections» n’aurait pas pu être monté par les compagnies de danse, dû a des moyens financiers limités (Van Cleef & Arpels)

« Dance Reflections », la toute dernière initiative de Van Cleef & Arpels, s’est déroulée à Londres du 9 au 23 mars dernier. Ce festival d’un genre nouveau réunissait des troupes et chorégraphes de danse contemporaine de renommée internationale, comme Lucinda Childs, mais aussi émergents, comme le chorégraphe Christian Rizzo. Le festival a été un véritable succès dans le monde de la danse. Sans le joaillier, «Dance Reflections» n’aurait pas pu être monté par les compagnies de danse, trop durement touchées financièrement par la pandémie. Grâce à de multiples partenariats, la marque a pu ouvrir la danse à une plus large audience. La maison de luxe s’est alliée avec le Royal Opera House, Sadlers Wells et le Tate Modern pour monter cette quinzaine de la danse. Par ailleurs, c’était la première fois que la marque soutenait une manifestation de danse qui ne soit pas du classique. Par le passé, elle avait monté des partenariats avec le ballet du Bolchoï, l’Australian Ballet, et a même été vue comme une source d’inspiration de George Balanchine pour son célèbre ballet «Joyaux». Serge Laurent, responsable des programmes danse et culture chez Van Cleef & Arpels explique ce choix atypique dans Dance Magazine: «Van Cleef & Arpels a toujours été attaché à la tradition, mais si vous regardez ses collections, vous verrez que beaucoup de pièces sont très modernes et purement abstraites.» Ce revirement a permis à la maison française de se positionner comme une marque plus moderne et dynamique tout en diversifiant ses partenariats, en y ajoutant le Royal Opera House.

Alliant à la quête d’excellence le goût du beau et de l’harmonie, Van Cleef & Arpels a puisé dans la danse une infinie source de créativité (Van Cleef & Arpels)

« Dance Reflections » montre donc bien la pertinence de telles collaborations entre ballets et maisons de luxe. Dans la même veine, la Fondation d’entreprise Hermès a par exemple inscrit la danse au cœur de sa stratégie RSE. Elan, l’école de danse financée par la fondation, arrive à la fin de sa première année pilote. Elle est une initiative du Centre National de la Danse, créée pour délivrer des formations à des élèves sous-représentés et désavantagés, souhaitant faire carrière dans le milieu de la danse. L’objectif est d’offrir un soutien aux élèves d’aujourd’hui, pour que les troupes de danseurs de demain reflètent davantage la diversité de nos sociétés. Ce projet illustre comment luxe et danse peuvent non seulement être pertinents, mais aussi devenir des acteurs du changement.

Avoir une telle ambition n’est pas simple. Les compagnies de danse peuvent oser davantage avec le soutien financier des maisons de luxe, mais elles ne doivent pas risquer de ternir leur réputation auprès de leurs autres sponsors historiques. De telles collaborations resserrent les liens entre les deux industries jusqu’à les rendre interdépendantes. Aussi pour sauter à pieds joints vers plus de diversité, ballet et luxe doivent s’engager à mettre de côté l’élitisme pour prôner ensemble le changement.  

« Dance Reflections », la toute dernière initiative de Van Cleef & Arpels, s’est déroulée à Londres du 9 au 23 mars dernier (Van Cleef & Arpels)

Cet article, rédigé par Meredith Hunter-Mason, est l'un des deux textes gagnants du concours d'écriture développé par Luxury Tribune et adressé aux étudiants en MBA de l'Université IESEG School of Management de Paris et Lille

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