Bien sûr, les chiffres du deuxième trimestre des grands groupes de luxe publiés récemment n’ont pas surpris. Ils sont mauvais. Kering a fait état d’un résultat opérationnel courant en baisse de 57.7% et le résultat d’exploitation de LVMH faisait état d’une chute de 68%. Pourtant, ces chiffres surviennent alors que les deux groupes affichent une croissance spectaculaire en Chine, la division mode et maroquinerie de LVMH ayant progressé de 65% au deuxième trimestre et Kering y a enregistré une hausse de 40%. Une fois encore, et la pandémie n’a fait qu’accélérer le phénomène, la Chine renforce son rôle de moteur du luxe. Pour preuve, chez Hermès, l’Asie-Pacifique (hors Japon) compte pour 48% du chiffre d’affaires du groupe au premier semestre 2020.
D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si Louis Vuitton a choisi Shanghai pour son défilé homme printemps 2021, fin juillet. Très attendu, et surtout très médiatisé sur les plateformes livestreaming chinoises, le show a généré 100 millions de vues dans le monde, selon le porte-parole de la marque, dont 68 millions rien que sur la plateforme chinoise Weibo, 18 millions sur Douyin et 8 millions sur Tencent. Le «reste du monde» enregistrait 3,3 millions de vues sur Instagram et 335'000 sur Facebook. La balance est vite faite. On comprend mieux pourquoi Michael Burke, patron de Louis Vuitton parle dans un article paru sur WWD «de ventes historiques sur les marchés de Taiwan, Chine et Corée la semaine du défilé».
Car c’est un fait, celui qui maîtrise l’interaction et le juste équilibre entre les influenceurs chinois et les ventes sur les réseaux sociaux est aujourd’hui le roi du luxe. Mais quel est donc ce juste équilibre à trouver pour la marque, lorsque l’on sait le consommateur chinois grandement influencé par des propos politiquement ou culturellement orientés? Le sens de la dérision que le vieux continent cultive, la pensée, le style, l’art de déconstruire pour mieux anticiper sont-ils désormais des concepts que le luxe doit éviter?
Les tabous auxquels les marques de luxe sont confrontées en Chine ne font que croître, en partie liés à la crise sanitaire qui a cristallisé le sentiment identitaire chez les consommateurs chinois, voyant d’un mauvais œil les critiques liées à la gestion du virus né à Wuhan. Selon les observateurs, l’empathie envers le peuple chinois doit aujourd’hui guider les stratégies des marques. Selon Ray Ju, directeur associé de Labbrand New York, que le media Jing Daily cite «le moment est venu pour les marques de faire preuve de compassion, de ne pas être provocantes, de ne pas avoir un ton trop humoristique. Evitez les motifs ou les symboles qui peuvent sembler trendy, mais qui peuvent être mal interprétés».
On le voit, la créativité des marques de luxe devient un enjeu diplomatique sous haute tension qu’il sera toujours plus difficile de maîtriser. Après le défi du «Made in China», le luxe devra désormais compter avec celui du «Made for China».
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