Tribune libre

Géopolitique et Luxe. Comment l’industrie du luxe s’est-elle distinguée à la COP28 ?

Eva Morletto

By Eva Morletto18 décembre 2023

Les participants à la conférence mondiale sur le climat (COP28) sont parvenus mercredi 13 décembre à un accord défini par le président Sultan Al Jaber d’«historique». Le texte final invitait en effet les pays à quitter graduellement les combustibles fossiles pour limiter les émissions et les bouleversements climatiques.

Malgré l'opposition de l’OPEP - le consortium des producteurs de pétrole dirigé par l'Arabie saoudite -, cet accord ouvre de nouvelles perspectives. Dans ce contexte, quelles sont les démarches éco-compatibles de l'industrie du luxe qui ne participent pas du greenwashing? Un acteur majeur dans ce domaine, le groupe LVMH, s'est distingué lors de la COP28. Il a notamment signé un partenariat important, doté d'un million d'euros, avec la Fondation pour la durabilité de l'Amazonie (FAS), et a présenté des résultats prometteurs issus de ses engagements de 2022 avec la Circular Bioeconomy Alliance. Ces engagements englobent la formation de plus de 500 agriculteurs en Afrique centrale et le démarrage d'une production de coton régénératif à grande échelle. Parallèlement, d'autres acteurs importants du luxe, tels que Kering, s'investissent également dans des initiatives similaires. Ces efforts sont souvent motivés par les exigences de la clientèle plus jeune, plus attentive aux processus de production. Et dans ce cadre, des progrès sont encore à faire. Le WWF souligne régulièrement l'impact significatif du secteur du luxe, notamment de la mode sur les émissions de CO2. La production de laine est par exemple responsable de l’émission de 1,7 milliard de tonnes de CO2 par an. La laine naturelle est de plus en plus convoitée par les grandes marques, avec des bassins de production très prisés en Argentine (Zegna, entre autres) ou en Nouvelle-Zélande (Loro Piana, entre autres).

En matière d’émissions, les groupes de luxe, à l’image de Kering, utilisent le levier de la compensation carbone pour atteindre leurs objectifs sur l'ensemble de leurs activités. A cet effet, le groupe de la famille Pinault soutient activement d'importants programmes de protection des forêts. C’est le cas au Gabon, où le gouvernement vise à remplacer la rente pétrolière qui s'épuise par une économie fondée sur l'exploitation durable de la forêt. La diplomatie française s'est d’ailleurs activement impliquée dans ce sens pour inciter de grands acteurs de l'économie française à acheter des crédits gabonais. BNP Paribas ou encore le fonds d'investissement Mirova – qui gère une partie du portefeuille de Kering dédié aux initiatives en faveur de la protection de la nature – ont ainsi été impliqués.

Cependant, ces efforts sont parfois entravés par des problèmes de corruption, comme observé justement au Gabon. Ces initiatives nécessitent souvent de naviguer dans un équilibre délicat: d'une part, il y a la volonté de promouvoir des programmes écologiques pour appuyer la transition environnementale de pays en développement, et d'autre part, l'inquiétude de financer, même indirectement, des régimes entachés de corruption, à l'instar du Gabon.

Hermès, quant à elle, a décidé en 2017 de soumettre 10% de la rémunération des dirigeants aux critères RSE (responsabilité sociale et environnementale), et a investi 10 millions d'euros en 2019 pour lutter contre les incendies en Amazonie. Le Brésil, à l'époque dirigé par le climatosceptique Bolsonaro, avait vu son président s’opposer au Fonds pour l'Amazonie et aux donations privées en faveur de la lutte pour la déforestation. Les fonds d'Hermès avaient-ils pu arriver à bon port ? L'aide de Kering au virage vert du Gabon avait-elle pu être efficace et non entravée par les manœuvres de corruption souvent présentes dans ce pays africain?

Face à ces défis, les efforts individuelles ont des limites, tout comme ceux qui concernent les actions collectives d'envergure en collaboration avec les États et les institutions publiques. C’est entre autres le cas du «Fashion Pact» - association mondiale d’environ 300 grandes sociétés et marques - lancée au Sommet du G7 de 2019 à l’initiative du président français Emmanuel Macron et de François-Henri Pinault, afin de combattre le réchauffement climatique et protéger la biodiversité terrestre et marine. En effet, en mai dernier, Hermès, Stella McCartney et le department store Selfridges quittaient discrètement le Fashion Pact. En cause, les résultats trop lents de ses actions, puisque 40 % des signataires ne se sont pas engagés officiellement à fixer des objectifs vérifiés et fondés sur des données scientifiques pour réduire leurs émissions, ce qui est une exigence essentielle du pacte.

Malgré les progrès réalisés par beaucoup de marques, une action plus efficace est nécessaire pour apporter des changements substantiels dans l'industrie du luxe.

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