Art & Design

Frida Kahlo, ses combats résonnent au-delà de son art

Samia Tawil

By Samia Tawil10 novembre 2022

Le succès est au rendez-vous de l’ambitieuse exposition «Frida Kahlo, au-delà des apparences», débutée au Palais Galliera de Paris, le 15 septembre dernier. L’engouement autour de Frida Kahlo touche tous les publics, ses combats féministes résonnant bien au-delà de son art. Du couturier Jean-Paul Gaultier à la jeune chanteuse Rosalía, Frida Kahlo fédère par une aura qui semble parler à tous. Décryptage.

L'exposition Viva Frida Kahlo présentée en première mondiale à la Lichthalle MAAG de Zürich en automne et hiver 2021-2022 (Lichthalle MAAG)
Frida Kahlo par Toni Frissell, US Vogue 1937 (Toni Frissell, Vogue/ Condé Nast)

À quoi tient l’engouement autour de Frida Kahlo? Est-ce sa sincérité à fleur de peau qui transparaît tant dans son art, sa personnalité ou encore sa liberté revendiquée? L’influence de Frida Kahlo sur le monde de la mode n’est plus à prouver: ses légendaires tenues indigènes chamarrées ont conquis nombre de couturiers. Mais outre l’aspect esthétique, c’est à la culture zapotèque de sa mère que Frida Kahlo rendait hommage par ces vêtements, et surtout, à sa tradition matriarcale. Un message féministe distillé tout au long de sa vie, comme lors de ses ponctuelles apparitions en smoking: un look garçonne repris par Karl Lagerfeld lors de son shooting pour le Vogue allemand en 2010, où Claudia Schiffer se glissait dans la peau de Frida. La fascination de Jean-Paul Gaultier pour le corset le mène à s’inspirer dès 1998 du corset orthopédique que Frida Kahlo portait à la suite de son tragique accident, en le glamourisant. Un hommage à la manière que Frida avait d’esthétiser la douleur. Il rendra un ultime hommage à la peintre, qu’il voyait également comme une muse, lors de son défilé d’adieux en janvier 2020.

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Luc Besson s’inspire également de Frida Kahlo dans son film Le Cinquième élément, en habillant Milla Jovovich d’une version futuriste de ce même corset de maintien, de nouveau signé Jean-Paul Gaultier. Est-ce un clin d’œil à l’idée que Frida Kahlo évoquait déjà en son temps, inconsciemment, de la femme du futur? Une artiste forte, dont les combats, personnels comme sociopolitiques, résonnent toujours aujourd’hui, et qu’il faut apprendre à décoder.

 Le célèbre  tableau intitulé La colonne brisée a inspiré Jean-Paul Gautier pour créer le costume du personnage de Mila Jovovich dans le Cinquième Elément ( wikiart.orgThe Fifth Element / Sony Pictures Entertainment)

Au-delà des apparences

La voix de Frida Kahlo était celle d’une intrépide femme queer, handicapée et de couleur; c’est la voix que nous avons besoin d’entendre aujourd’hui

Circe Henestrosa, commissaire de l'exposition «Frida Kahlo, au-delà des apparences»

C’est bien là l’intention de Circe Henestrosa, commissaire de l’ambitieuse exposition «Frida Kahlo, au-delà des apparences»: « La voix de Frida Kahlo était celle d’une intrépide femme queer, handicapée et de couleur; c’est la voix que nous avons besoin d’entendre aujourd’hui, et c’est vraiment celle que je défends.» Elle y présente 200 objets jusque-là presque exclusivement exposés dans la fameuse Casa Azul de Mexico, où Frida Kahlo a vécu. Rappelons qu’en 2018, l’exposition Frida Kahlo Oltre il mito, au MUDEC Museum de Milan invitait, elle aussi, à outrepasser l’attrait du «phénomène» pour nous pencher sur l’intime.

Des démarches qui visent à faire connaître la complexité du monde intérieur de l’artiste, par-delà les couleurs bariolées et coiffes fleuries. C’est tout d’abord à la douleur qu’on accède au Palais Galliera, en découvrant les corsets que Frida Kahlo portait sous ses vêtements chatoyants. Comme pour nous montrer le squelette d’une œuvre dont elle est non seulement la créatrice, mais aussi l’incarnation. Car en peignant, Frida Kahlo se crée. Se donne vie. Et donne une leçon tacite de résilience à qui veut bien lire entre les lignes… Comprendre la passion dans une pastèque, l’engagement politique dans un cactus d’agave, ou encore la défiance d’une douleur insoutenable derrière un regard impassible, fièrement couronné de son légendaire monosourcil.

2022: l’année Frida Kahlo?

Frida Kahlo révélant son corset peint sous son huipil par Florence Arquin, vers 1951 (DR, collection privée/Diego Rivera and Frida Kahlo archives, Bank of México, fiduciary in the
Frida Kahlo and Diego Rivera Museums Trust)

Ces symboles qui participent à l’esthétique si appréciée de son art ont donc un sens profond auquel le Lichthalle MAAG de Zürich a su rendre justice en accueillant dès septembre 2021 l’exposition immersive «Viva Frida Kahlo» en première mondiale. L’exposition a connu un tel succès qu’elle a été prolongée de deux mois, pour se clôturer en apothéose en février 2022, avec un total d’affluence de 120 000 visiteurs.  Aurélie Perrod, chargée de la communication chez Opus One nous confie en exclusivité: «Il se trouve que nous allons lancer cette exposition à Lausanne en fin d’année. Cela n’a pas encore été annoncé et nous attendons quelques confirmations du côté de Beaulieu.» Une belle occasion pour les Romands de découvrir le travail du collectif d’artistes Projektil, qui a clairement poursuivi l’intention de raconter l’histoire avec un petit h derrière les symboles. Une manière de démocratiser l’art intelligemment, avec conscience et pudeur. En se servant de l’attrait du mapping, les concepteurs offrent une réelle analyse de l’œuvre de l’artiste qui se fait porte d’accès pour les profanes, et qui meut les connaisseurs au plus profond.

Durant l’automne 2021, la Fondation Beyeler, dans son exposition exclusivement féminine «Close up», avait également mis Frida Kahlo à l’honneur, accomplissant l’exploit de se procurer deux originaux, dont l’énigmatique Autoportrait dans une robe de velours. Une Joconde d’un autre temps qui a fait exploser l’affluence au musée bâlois. Alors 2022 serait-elle l’année Frida Kahlo? En Europe, du moins. Car l’Amérique latine n’avait pas attendu pour faire converger les foules autour de magnifiques expositions. Celle organisée à São Paolo puis à Rio de Janeiro en 2016 réunissait une vingtaine de toiles, ce qui reste une prouesse pour une artiste dont les originaux se font de plus en plus rares. Le récent record de vente aux enchères de l’autoportrait «Diego et moi», adjugé à 34,9 millions de dollars chez Sotheby’s à New York, démontre la cote exceptionnelle de Frida Kahlo. Cela explique peut-être le recours de plus en plus fréquent à des alternatives pour faire connaître l’artiste par le biais d’objets ou de reproductions.

La poésie de la Casa Azul

Frida Kahlo par Antonio Kahlo, 1946 (Diego Rivera and Frida Kahlo archives, Bank of México, fiduciary in the Frida Kahlo and Diego
Rivera Museums Trust)

Je passais à côté de la Casa Azul chaque jour. Cela a participé à m’inspirer

Hilda Palafox, artiste peintre

La maison bleue qui trône rue Londres dans le bucolique quartier du Coyoacán à Mexico vit au rythme du passage des touristes depuis l’ouverture au public de ses archives en 2007. Les prix de l’immobilier ont grimpé depuis lors, atteignant des valeurs exorbitantes qui auraient pu dissuader les locaux de rester dans le quartier. Pourtant, le Coyoacán reste malgré tout principalement habité par des Mexicains. «Mon école se situait au cœur du Coyoacán, je passais à côté de la Casa Azul chaque jour. Cela a participé à m’inspirer», confie la peintre Hilda Palafox. L’artiste Yanin Ruibal, affaiblie par la maladie de Lyme, ajoute: «Quand j’ai commencé à devoir dessiner depuis mon lit, j’ai pensé à Frida […] Rien ne l’arrêtait.» C’est ainsi que Frida Kahlo se fait présence palpable chez ses compatriotes aussi, et transcende le statut de personnalité historique pour devenir visage du présent. La Casa Azul est le lieu quintessentiel de cette présence. Une sorte de Jardin Majorelle mexicain, un lieu de joie et de maux, plein de vie malgré l’absence, et où les murs se font vestiges de douleurs tues et défiées en silence.

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