StratégieAcadémique

En 2023, les NFT se profilent comme les détenteurs d’un savoir exclusif

Prof. Perrine Desmichel

By Prof. Perrine Desmichel21 février 2023

Et si les NFT (Non Fungible Token) étaient le meilleur moyen pour le luxe de retrouver un peu d’exclusivité sur la Toile ? De récents exemples nous montrent que les NFT peuvent constituer un accès privé vers un savoir exclusif à l’heure où la connaissance est gage de statut social et où les marques ont pu brader ce savoir sur les réseaux sociaux.

Romain Froquet avait déjà collaboré avec le Printemps Haussmann. Il avait réalisé deux œuvres monumentales dans le grand espace du 7e Ciel, traçant des lignes bleus superposées sur un immense tapis persan et sur les murs (Jules Hidrot)

To be in the know or not. This could be the question. (Être au courant ou pas. Telle pourrait être la question.) Les chercheurs l’ont théorisé et démontré, il existe une fracture entre le consommateur de luxe qui sait et celui qui imite (cf. le travail Young Han, Joseph Nunes et Xavier Drèze en 2010 et plus récemment celui de Yajin Wang en 2022). Face à la prolifération du luxe accessible, la vraie distinction sociale vient de l’expertise du consommateur : de sa capacité à détecter le beau, à s’emparer de la dernière innovation avant tout le monde et de pouvoir élaborer sur le savoir-faire qui se cache derrière un produit. L’industrie de luxe en est consciente et il n’est pas surprenant d’entendre Déborah Marino (DGA Luxe chez Publicis) ouvrir le dernier Luxury Paris Summit (décembre 2022) avec l’idée que le luxe a pour mission de « redistribuer le savoir ». Pourtant, plus qu’une redistribution du savoir au plus grand nombre (p. ex., sur les réseaux sociaux), le luxe peut aussi choisir de rendre ce savoir exclusif et de le délivrer à quelques clients privilégiés. C’est du moins ce que semblent permettre les NFT de plusieurs façons.

Les NFT au service de l’art

Une œuvre de Romain Froquet (Romain Froquet)

Tout d’abord, les NFT peuvent donner un accès exclusif à l’art. Si les NFT peuvent constituer une œuvre d’art à part entière, les marques de luxe les utilisent aussi pour mettre à l’honneur des artistes plus classiques et, comme dans leurs fondations, pour faire la promotion de l’art et de la culture. C’est ce qu’a illustré le Groupe Printemps en mars/avril 2022, avec l’opération promotionnelle accompagnant le lancement de sa boutique virtuelle (Virtual Store). Le grand magasin de luxe a noué un partenariat avec le street artist, Romain Froquet, lui demandant de créer trente NFT exclusifs. Ces NFT ont été offerts par tirage au sort à trente clients du Virtual Store. Puis, un des détenteurs de ces NFT s’est vu remettre une toile physique de Romain Froquet, exposée au Printemps Haussmann. L’opération visait donc à récompenser les clients Printemps par un accès inédit à l’art.

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Les NFT au service des savoir-faire

De plus en plus de consommateurs de luxe désirent en connaître plus sur le produit qu’ils achètent. C’est sûrement le constat qu’a fait Thomas Steinemann, CEO de DuBois et Fils (maison d’horlogerie suisse depuis 1785). En 2010, ce passionné avait choisi d’acheter 200 000 mouvements de montre historiques, développés entre 1920 et 1980 à La Chaux-de-Fonds et encore inexploités.

Grâce au NFT qui accompagne le produit, l’objet de luxe peut désormais écrire sa propre histoire (Montre Dubois)

À l’été 2021 la marque, qui souhaite mêler tradition et hautes technologies, a décidé de « tokéniser » le mouvement de sa prochaine montre, encore en cours de conception. Trois cent trente NFT du mouvement Caliber AS-1895 ont ainsi été vendus (à 95 francs), donnant un accès exclusif à des images et rapports mensuels sur le développement du modèle à venir, des informations sur le mouvement et sur la marque. L’ambition de la maison était ainsi d’offrir une expérience unique à quelques personnes férues de haute horlogerie, en les faisant entrer dans les coulisses de la construction d’une montre. Au lancement du nouveau modèle, six mois plus tard, tous les détenteurs du mouvement «tokénisé» pouvaient choisir d’acheter la montre finale (avec 10% de réduction), ou de revendre le NFT (avec une plus-value d’environ 140 CHF). DuBois et Fils a ainsi su capitaliser sur la force du NFT, qui demeure certes un bien immatériel, mais aussi un acte de propriété, tout comme le mouvement d’une montre qui est une technique intangible, mais soumise à un droit de propriété intellectuelle. L’horloger compte bien faire de ce nouveau mode de production sa marque de fabrique et a déjà «tokénisé» trois des milliers de mouvements qu’il possède. Ce cas démontre comment les NFT peuvent offrir une vision neuve des savoir-faire de luxe à une poignée de clients privilégiés.

Ce modèle peut s’exporter au-delà du monde horloger, à d’autres savoir-faire. Yves Saint Laurent parfum a, par exemple, dernièrement, offert un peu plus de deux mille NFT aux acheteurs d’un flacon de Black Opium. Le NFT donnait notamment accès à un contenu exclusif réalisé par le nez de la marque.

Les NFT au service de l’histoire du produit

Enfin, grâce au NFT qui accompagne le produit, l’objet de luxe peut désormais écrire sa propre histoire. Ainsi, dans leur projet, DuBois et Fils donnent la possibilité au détenteur d’une montre et de son NFT de télécharger des photos personnelles du bien ou des rapports d’entretien de la montre sur la blockchain, accessibles uniquement avec le NFT. De même, l’horloger IWC avait, en 2022, couplé son dernier modèle Céramique avec un NFT contenant des informations exclusives sur le produit (cf. «L’IWC Diamond Hand Club est le premier programme d’adhésion basé sur les NFTs jamais créé dans l’industrie du luxe»). On pourrait envisager de la sorte que le NFT devienne le garant de l’histoire de la montre et, par extension, de la famille qui la possède. Hériter d’une montre munie d’un NFT augmenterait donc la valeur symbolique et affective du produit. Le NFT est alors une clé d’accès, une histoire cachée et une histoire propre, comme si le produit et son propriétaire ne faisaient plus qu’un.

Le IWC Diamond Club, créé en 2022 (IWC)

En définitive, les NFT peuvent renforcer les liens entre luxe et art, luxe et savoir-faire ou encore luxe et histoire. Toutefois, à travers ces trois exemples, on observe que les NFT aident surtout les marques à valoriser le produit de luxe et son exclusivité. L’objet digital se met, in fine, encore et toujours au service du pilier du luxe, le produit physique.

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